Un principe qui recoupe plusieurs de mes prises de positions sur nombre de débats de société pourtant variés et sans lien direct les uns avec les autres, est le principe de la souveraineté de l’individu sur lui-même. Mon corps est un territoire dont je suis l’unique et absolu souverain, le territoire de l’État s’arrête à ses frontières. En fait, non seulement l’État doit reconnaître cette souveraineté de moi sur moi, mais il doit activement la protéger. Donc nous avons le:
- droit d'être souverain sur son corps, son esprit et son identité,
- droit que l'on protège cette souveraineté,
- droit de ne pas être discriminé pour avoir exercé sa souveraineté.
Cela implique de reconnaître:
- Le droit à la vie et d’être préservé de la souffrance,
- Le droit à l’avortement,
- Le droit de pouvoir se vêtir comme on veut, de montrer son corps ou de le cacher, et la limitation du pouvoir d’uniformisation vestimentaire de l’employeur sur l’employé,
- Le droit de pouvoir consommer un psychotrope ou d’avoir d’autres habitudes de vie pouvant nuire à la santé,* ou d'avoir une apparence physique que certains pourraient associer à de mauvaises habitudes de vie,
- Le droit d'avoir du sexe entre adultes consentants, de la façon dont il nous plaît,
- Le droit de ne pas se faire violer même si cela est fait sans que l’on ne subisse de lésions physiques et sans que l’on en soit conscient,
- Le droit de ne pas se faire prélever un organe, pour une greffe, contre son gré, même si la vie de l’autre est en jeu et que la nôtre n’en serait pas menacée,
- Le droit de porter des tatouages, perçages et scarifications et, corollairement, le droit de ne pas se faire faire ce genre de marque contre notre gré ou avant l’âge du consentement,
- Le droit de recevoir une mutilation génitale religieuse et, corollairement, le droit de ne pas se faire faire ce genre de marque contre notre gré ou avant l’âge du consentement,
- Le droit de se suicider si, à la suite d’une réflexion éclairée, on estime que le temps qu’il nous reste à vivre n’est qu’une lente agonie et que l’on préfère partir dans la dignité,
- Le droit d’avoir recours à des chirurgies pour modifier son corps comme bon nous semble, que ce soit dans un but de réassignation de genre ou autre, et le devoir de ne pas imposer à autrui ce genre de chirurgie,
- Le droit de ne pas être réduit en esclavage, et la limitation du pouvoir de l’employeur sur l’employé,
- La limitation des contraintes pouvant être imposées dans un engagement contractuel entre deux personnes,
- L’absence de reconnaissance du mariage et du couple, c’est-à-dire que j’accepte la reconnaissance fiscale d’un foyer, qu’il soit couple ou autre, mais rejet de la reconnaissance légale de la souveraineté des conjoints sur le corps l’un de l’autre, ce qui implique, par exemple, de ne pas criminaliser l’adultère.
Dérivant de ça, l’individu a aussi une souveraineté égale sur «son esprit», ce qu’on appelle généralement la liberté de conscience mais qu’on associe peut-être trop intimement à la religion alors que ce peut-être beaucoup plus large. Donc:
- Le droit d’avoir les opinions, valeurs et croyances que l’on veut, qu’elles soient vraies ou fausses, et qu’on accorde de la considération à l’importance que ces choses ont pour nous,
- Le droit de pouvoir faire ses propres choix de vie, de vivre en accord avec ses valeurs, de pratiquer sa religion, d'agir en conformité avec notre conception du monde,
- Le droit à la liberté d’expression, de pouvoir dire ce que l’on pense (et le droit de notre interlocuteur de nous répondre),
- Le droit d’être maître de son horaire, d’avoir des temps libres et des congés, à des dates ou des moments que l’on considère importants,
- Le droit d'avoir une vie sexuelle en phase avec nos préférences personnelles, sans être persécutés ou ridiculisés,
- Le droit d’être anarchiste, de ne pas voter, de ne pas éprouver d’allégeance envers l’État,
- Le droit de ne pas être un échantillon représentatif de la majorité historique,
- Le droit d’avoir accès à l’information et à l’éducation,
- Le droit de ne pas faire partie du système.
Ça ne veut bien sûr pas dire qu’on n’a pas le droit d’argumenter avec lui sur ses opinions ou qu’on a le devoir de fournir une tribune égale à tout le monde, ça veut juste dire qu’il peut penser ce qu’il veut tant que ses actions ne l’amène pas à poser des actes portant préjudice à autrui, et tant qu’il n’incite pas explicitement à la violence envers autrui.
Ça ne veut pas non plus dire que le système scolaire public devrait s’empêcher d’enseigner à ses élèves des faits scientifiques ou historiques qui pourraient remettre en question les croyances de leurs parents. J’y reviendrai, mais pour moi il est parfaitement légitime de juste présenter les faits aux enfants, puis de leur apprendre les bases de la pensée logique, et de les laisser se faire une opinion par la suite.
Autre élément de la souveraineté sur soi, le droit d’être souverain sur son identité personnelle, sans que celle-ci nous soit imposée par la société ou la famille, c’est-à-dire:
- Le droit de changer de nom (prénom ou nom de famille) comme bon nous semble et pour les raisons de notre choix (le corollaire est que, pour remplacer le nom, chaque membre de la société doit avoir un code permanent qui serait notre seule identité officielle fixe),
- Le droit de choisir le titre de civilité que l’on préfère (Madame, Monsieur, etc.) pour se faire désigner,**
- Le droit de choisir le genre grammatical que l’on préfère (féminin, masculin, neutre) pour notre nom,
- Abolir, autant que possible, les catégories sociales des documents officiels (sexe, race, religion, etc.) pour les remplacer par des données anthropométriques (taille, yeux, teint, voix, âge, etc.), et laisser l’individu libre de choisir, lors des recensements, dans quelle catégorie sociale officielle qu’on n’aurait pas abolie il désire qu’on le classe.
Rien de bien original ici, mais ce que je voulais souligner c’est que cette souveraineté de l’individu sur lui-même prime sur celle de la société. Ainsi, même si le gouvernement était élu à l’unanimité, il ne serait pas légitime qu’il m’empêche de disposer librement de moi-même ou qu’il dispose de moi-même contre ma volonté. Mon corps et ma tête ne font pas parties de son territoire.
Je vais donner un exemple. Pensons à l’avortement, la question n’est pas de savoir si l’État autorise ou non une personne à se faire avorter. La question est que ce que cette personne décide de faire avec son corps est en dehors de la juridiction de l’État. Autre exemple, pour l’identité de genre, je ne demande pas à l’État de reconnaître le droit à l’autoassignation, je dis que notre genre ne lui appartient d’aucune façon et se trouve également hors de sa juridiction.
Après, bien sûr, de savoir si l’assurance-maladie finance les avortements et les chirurgies de réassignation de genre, ça devient du magistère de l’État, et c’est là qu’intervient le second point. L’État ne fait pas que reconnaître ma souveraineté sur mon corps, il la protège. C’est pourquoi ce n’est que logique d’offrir les services qui permettent de préserver ce droit.
Je souligne que ceci est mon paradigme politique et non mon paradigme éthique. Mon éthique autorise en effet un individu à bafouer les intérêts d’autrui si sa propre survie est en jeu. Ainsi, le renard peut manger le lièvre pour se nourrir, mais si ce renard et ce lièvre étaient membres de la même société, l’État devrait empêcher cet acte de prédation pourtant légitime. Les cas de greffes d’organe suivent cette logique. Même si, éthiquement, il serait justifier que l’un tue autrui pour lui prendre son foie s’il a absolument besoin d’une greffe pour survivre, ce genre de prédation est tout de même illégale. Parce que non seulement l’État reconnaît la souveraineté de chacun sur soi, mais il protège cette même souveraineté.
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* Ce qui ne veut pas dire d’en garantir l’accès ni de n’avoir aucune pénalité. Je trouve que de taxer les drogues récréatives et la malbouffe, à la fois par mesure dissuasive et pour financer leurs coûts pour le système de santé, est parfaitement légitime.
** J’aurais aimé laisser les gens pouvoir choisir complètement – voire inventer – le titre de civilité qu’ils veulent, mais pour ne pas entrer en contradiction avec le quatrième point de cette liste, soit de supprimer les catégories sociales, on ne peut pas. Quelqu’un pourrait choisir de vouloir se faire appeler “Docteur”, “Monseigneur” ou “Maître”, ce qui est contraire au paradigme. Conséquemment, de choisir parmi une liste, et d’autoriser les gens à faire une demande pour ajouter un terme à la liste (qui lui-même serait presque systématiquement accepté, à condition d’être un mot répertorié – donc, ici, pas de mot inventé – et de ne pas avoir de connotation hiérarchique ou ségrégationniste), me semble une meilleure idée.