lundi 25 janvier 2010

Désinstitutionnaliser la spiritualité

Je trouve que, de nos jours, les institutions fournissant des services de spiritualité - les religions - sont de plus en plus déconnectés de la réalité de leurs ouailles. Leur légitimité étant basée sur l'authenticité de leurs saintes écritures, elles sont par nature condamnées à l'immobilisme. Mon opinion est que l'on devrait davantage désinstitutionnaliser la spiritualité. Je ne comprends pas pourquoi ceux que l'on appelle «croyants modérés» ou «non-pratiquants» continuent de se revendiquer comme membre d'une religion, alors que leurs croyances ont évoluées bien loin d'où stagnent celles de leur clergé.

Réfléchissons d'abord au concept même de «religion». Qu'est-ce qu'une religion? Il m'apparaît que l'on peut disséquer ce concept en six aspects distincts:

Les trois premiers aspects constituent ce que j'appelle la fonction spirituelle de la religion (ce qu'on pourrait tout simplement appeler «spiritualité» ou «philosophie») tandis que les trois derniers forment la fonction sociale.

Pour ce qui est de la conception de ce qui est vrai, les croyants modérés conservent toujours quelques éléments religieux dans leur conception du monde – évidemment, sinon ce ne seraient pas des croyants. Mais, même s'ils continuent de croire en l'existence d'un démiurge surnaturel et, parfois, en l'authenticité des miracles qu'un certains prêcheurs auraient exécutés il y a deux milles ans, leur conception de ce qui est vrai est souvent beaucoup plus proche du modèle proposé par la science que de celui que l'on pourrait déduire d'une lecture littérale de leur livre sacré. Par exemple, les modérés ne croient pas en la création du monde telle que décrite par la Genèse, mais adhèrent plutôt en la théorie de l'évolution et celle de la formation de la Terre par accrétion de poussières cosmiques il y a environ 4,5 milliards d'années. La science a presque totalement pris la place de la mythologie monothéiste. À cela s'ajoute une multitude de mythes païens ou nouvelâgeux qui se sont, eux aussi, taillé une place importante dans la cosmologie du peuple. Bref, il y a dissonance entre la vérité selon le peuple et la vérité selon les saintes écritures.

Pour ce qui est la conception de ce qui est bien, là non plus les modérés ne s'en remettent pas à leurs livres sacrés ni aux diktats de leur clergé pour définir ce qui est bien selon eux. En effet, les catholiques modérés sont généralement en désaccord avec les paroles du Pape à propos de l'usage du condom ou de la place des femmes dans la société. Ils ne sont pas non plus d'accord avec la morale prescrite par la Bible (notamment, sur la prohibition de l'homosexualité ou l'usage de la peine de mort pour des crimes anodins tels que ne pas honorer ses parents). Bref, les valeurs morales des modérés ne sont pas liées à celle de leur religion.

Le clergé n'est pas non plus très important pour les modérés. En effet, très peu d'entre eux continuent à fréquenter les lieux de cultes (sauf peut-être pour de rares événements, comme les baptêmes, les mariages et les funérailles) et la plupart ne considèrent pas que les prêtres et les autres membres du clergé soient plus proches de Dieu que n'importe qui d'autres. Du moins, ils ne considèrent pas que les paroles d'un prêtre soient «inspirés par le Saint Esprit» ni que son pouvoir ne soit légitimé par Dieu.

Il ne demeure donc que l'identité et la communauté. Pour une raison obscure, il semble que les modérés, bien qu'ils ne croient ni en la mythologie, ni aux valeurs morales et ni en la légitimité divine du clergé de leur religion, continuent de s'identifier comme membre de cette religion. Cela m'apparaît quelque peu étrange, voire paradoxal. Par exemple, un catholique, par définition, est quelqu'un qui croit que le Pape est le porte-parole de Dieu sur Terre. C'est ce qui distingue le catholicisme des autres branches du christianisme (en plus de la croyance que l'hostie se transforme vraiment en viande de Christ lors de la communion). Quelqu'un qui ne croit pas à ça peut se dire chrétien mais pas catholique. Pourtant, la plupart des modérés du Québec se disent catholiques tout en niant les dogmes fondamentaux de l'Église catholique.

J'ai l'impression que c'est surtout par tradition et pour répondre à un désir xénophobe de se dissocier le plus possible de l'étranger en magnifiant ce qui nous en distingue que les modérés continuent de s'identifier à une religion à laquelle ils ne s'identifient plus. C'est devenu davantage une identité qu'un système de croyances. Pourtant, une religion se compare mieux à une opinion qu'à une patrie; on peut donc en changer ou s'abstenir d'en avoir. Bref, il ne manque qu'une petite prise de conscience de la part des modérés pour que les grandes religions perdent officiellement la majorité de leurs adeptes (qu'elles ont, dans les faits, déjà perdus) au Québec et dans la plupart des pays progressistes.

Cette réflexion m'a amené à m'interroger sur la possibilité d'introduire une sorte de «religion laïque» qui utiliserait la science pour définir le vrai, des valeurs contemporaines et des raisonnements philosophiques pour définir le bien et qui baserait la légitimité de son clergé sur la démocratie, la formation ou l'expérience. Ou alors, encore plus basique que ça, une simple «identité collective» basée sur la «foi» en la science à laquelle on pourrait s'identifier.

Également, pour les modérés et les athées, je me disais qu'il faudrait davantage d'entreprises pour offrir des services de mariage laïcs, de funérailles laïques et de «baptêmes» laïcs. Il faudrait que ces rites puissent se fonder sur la spiritualité/philosophie personnelle des gens qui les pratiquent plutôt que sur celle du clergé qui les organisent. Il me semble que c'est le seul usage qu'ont encore les religions chez les gens instruits et que si elles n'en avaient plus l'oligopole, il serait possible de procéder à ces rites de passage sans avoir recours à une institution obscurantiste s'opposant à nos valeurs. Ça permettrait aux modérés de briser définitivement les liens d'avec leur religion natale pour passer du statut de «croyant modéré non pratiquant» à «j'ai ma propre philosophie».

lundi 18 janvier 2010

Credo d'un incroyant

Ça fait un an que j'ai commencé à écrire ce blogue et j'y ai décri plusieurs pans de ma conception du monde. Mais je constate que ce serait pas mal long à lire intégralement… Alors j'ai décidé d'essayer d'en écrire une synthèse en la remplissant d'hyperliens vers mes réflexions. Pour rendre ça plus esthétique, j'ai choisi de m'inspirer du credo des chrétiens pour la forme, alors chaque ligne commencera pas «Je crois…» même si rien de tout cela n'est une croyance à proprement parler. Voyons voir ce que ça donne…

Je crois en l'Univers qui est un tout, un continuum n'étant sécable qu'arbitrairement et un système nous transcendant, fini ou infini, existant de par lui-même indépendamment de l'image que l'on s'en fait, incréé et auto-organisé, et en-dehors de qui rien n'existe.

Je crois au Temps qui procède de l'Univers, consubstantiel à l'Espace, existant immuablement dans toute son éternité, fini ou infini, s'écoulant tel un fleuve du passé vers l'avenir, n'ayant pas d'avant ni d'après, ni de cause ni d'effet, et englobant les existences des morts, des vivants et des à-naître.

Je crois en la Science comme la plus grande des sagesses, plus fiable que la tradition, l'instinct ou l'intuition, qui nous révèle la grandeur et la splendeur de l'Univers, par qui l'humain s'élèvera aussi prêt de la Vérité qu'il lui soit possible de s'élever, et grâce à qui l'humain accédera aux pouvoirs les plus puissants qu'il lui soit possible de maîtriser.

Je crois au principe d'utilité en Éthique, pour qui le bonheur est l'unique vertu et la souffrance l'unique vice, qui nie les idolâtries éthiques, ne tolérant la perpétration de souffrance qu'en prévention de souffrance supérieure, et la privation de liberté qu'en protégeant une liberté supérieure, encensant la Science éclairante de son chemin vers le bonheur, et honnissant l'obscurantisme le détournant de sa finalité.

Je crois en l'Esprit qui émane de la matière, mesure de toute chose, attribut de l'être quelque soit sa nature ou sa catégorie, insaisissable pour lui-même, produit de la chair qui le supporte, périssable comme elle, émergeant lorsqu'elle s'anime, s'éteignant lorsqu'elle expire.

Je crois que l'espèce qui m'a engendrée, sœur de toutes les espèces, et la culture qu'on m'a inculquée, sœur de toutes les cultures, ne sont pas plus spéciales ni moins médiocres que celles hors lesquelles je suis né.

Je crois qu'il n'y a rien de sacré ni rien de tabou et que tout peut être remis en question.
Voilà.

Hum… Je ne suis pas certains d'avoir tout couvert ce que je voulais couvrir mais je suis quand même assez satisfait du résultat. Peut-être aurai-je dû utiliser «Je pense» au lieu de «Je crois» et donc appeler ça un cogito plutôt qu'un credo. Ce n'est pas une vraie profession de foi, c'est plutôt pour le plaisir, son but est d'être une sorte d'index vers mes principales réflexions, mais ça me permet quand même de résumer très sommairement les grandes lignes de ma pensée.

vendredi 8 janvier 2010

La hiérarchie naturelle

On croyait autrefois à ce qu'on appelle en latin la scala naturae, c'est-à-dire l'échelle naturelle. Il s'agit d'une hiérarchie linéaire au sein de laquelle on classait toutes les choses de l'univers réel et mythologique. Par exemple, le vivant était au-dessus de l'inerte mais en-dessous du divin. Dans le vivant, les animaux étaient au-dessus des végétaux mais en-dessous de l'humain. Au sein de l'espèce humaine, le roi était supérieur au serf, l'homme supérieur à sa femme, le père supérieur à ses enfants, etc. Dieu, l'ultime perfection, était au sommet de l'échelle tandis que l'humain était le plus haut parmi ce qui existe pour vrai. Voyez cette page pour plus de détails.

Les théories de l'évolution prédarwiniennes – telle que celle de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) – utilisaient cette conception du monde linéaire. On assimilait les êtres vivants les plus primitifs avec le bas de l'échelle et les être plus complexes au haut, tout en plaçant arbitrairement l'humain à son sommet (bien qu'il ne soit pas plus complexe ni nécessairement plus récent que des animaux tels que l'orang-outang, le chat ou le pigeon). On voyait l'humain comme étant «l'aboutissement de l'évolution» ou «le plus évolué des animaux» au somment du monde des vivants. Évoluer signifiait monter dans l'échelle.*

Ce modèle unilinéaire du monde interféra dans les considérations éthiques des gens, pendant différentes époques. En effet, on croyait – selon l'éthique défendue originellement par le philosophe Aristote (384-322 av. notre ère) – que chaque chose n'existait que pour servir les intérêts de ce qui lui est supérieur dans la scala naturae et qu'il n'y avait donc rien de mal à faire passer les intérêts d'un humain avant ceux d'un chats, ceux d'un seigneur avant ceux d'un serf, ceux d'un homme avant ceux de sa femme ou ceux d'un natif avant ceux d'un étranger. Et ce, aussi infimes et superficiels que soient les bénéfices pour le «supérieur» par rapport aux conséquences négatives pour son subalterne.

Le modèle de l'évolution apporté par Charles Darwin (1809-1882) aurait dû amener un changement de paradigme à ce niveau. En effet, en étant arborescent plutôt que linéaire et en évacuant complètement le concept de «supériorité», il nous a apporté une conception du monde des vivants dans laquelle il n'y avait pas de place pour une quelconque «hiérarchie naturelle». Les populations évoluant, non pas pour grimper dans l'échelle, mais bien pour s'adapter davantage à leur milieu.

Il semble toutefois que, même si l'on ne se réfère plus directement à cette échelle, des vestiges de son influence persistent dans notre conception du monde. On continue à dire que les bêtes sont «inférieures» aux humains ou à sous-entendre implicitement que ce qu'elles sont est moindre que ce que nous sommes (par exemple, en disant «Ce n'est qu'un chat!»). Grâce aux progrès sociaux, on en est venu à la conclusion qu'il n'y avait pas de place pour une telle échelle biologique au sein de l'humanité. On a alors simplement décrété que «tous les humains sont égaux» dans cette hiérarchie, tout en maintenant en place le reste du modèle. Or il ne s'agit là que d'une contorsion ridicule d'un modèle erroné pour se plier à la réalité observée; comme la théorie des épicycles dans le géocentrisme. La vérité c'est que nous ne sommes pas égaux… ni inférieurs ou supérieurs, puisqu'il n'y pas d'échelle de la vie ou de hiérarchie naturelle. Le concept même de «supériorité» est donc complètement vide de sens. Ce n'est là qu'une conception obsolète dont on devrait se débarrasser.

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*Dans des histoires de science-fiction telles que X-Men, on utilise ce genre de conception linéaire de l'évolution puisque l'on considère que «la prochaine étape» pour l'humain est d'acquérir de supers pouvoirs... très analogues à ceux des dieux polythéistes.