samedi 21 février 2009

Éthologie et ethnologie

L'éthologie est l'étude du comportement animal tandis que l'ethnologie, la psychologie, la sociologie et les autres sciences humaines étudient le comportement humain.

Je trouve personnellement qu'entre éthologie et ethnologie, l'approche est trop différente. Pour l'humain, on va s'intéresser à sa conception subjective de ses comportements tandis que pour l'animal – vu qu'il ne peut nous expliquer ce qu'il fait – on va simplement faire une observation extérieure et objective de ses agissements.

Cela donne lieu à des aberrations dans la pensée commune. Par exemple, j'ai déjà entendu : « Seul l'humain fait l'amour pour le plaisir. Les animaux le font pour la reproduction uniquement. »* Cela est évidemment insensé. Je m'imagine mal un chien en train de se dire : « Ah j'haïs ça copuler, mais il le faut! L'avenir de l'espèce en dépend. » Je doute fort que les animaux soient conscient de la causalité entre copulation et reproduction. S'ils le font, c'est qu'ils y ressentent un stimulus positif; c'est-à-dire du plaisir!

Bref, tout ce que je voulais dire ici c'est que l'illusoire « abîme » séparant l'humain de la bête semble réel surtout parce que l'on étudie le comportement humain sous un angle complètement différent de celui qu'on utilise pour étudier le comportement animal. Mais quand ce sont des ethnologues – comme Jane Goodall (1934-...) et Dian Fossey (1932-1985) – qui étudient le comportement des primates et quand ce sont des éthologues qui étudient le comportement humain, la frontière bestio-humaine s'évapore.

––---

* Cette phrase est une mauvaise formulation pour dire que seul l'humain (et le dauphin!) copule même lorsque la femelle n'est pas dans ses chaleurs. Donc, uniquement pour le plaisir de la chose, sans que cela n'est une fonction reproductive. Mais, encore là, je ne suis pas certain que ce soit vraiment propre à l'humain et au dauphin.

Le maître l'a dit!

Le plus sot des incultes de notre époque, s'il sait que la Terre tourne autour du Soleil, est plus savant en matière d'astronomie que tous les plus érudits ayant vécus avant Copernic (1473-1543). Non pas qu'il soit plus intelligent ou plus sage, mais il dispose simplement de plus de données. Il n'y a pas d'orgueil à en tirer mais il n'est pas prétentieux de le dire.

Aristote (384-322 av. notre ère) fut un grand sage de la Grèce antique qui s'intéressa à pratiquement toutes les disciplines. Ce fut un fin observateur et penseur imposant. À tel point qu'il fut quasiment déifié dans les siècles ultérieurs par tous les savants et les penseurs. Ses opinions furent élevées au rang de dogmes, si bien qu'il suffisait de les invoquer en disant « magister dixit » (le maître l'a dit!) pour éviter d'être contredit.

Lorsque surgit un génie, il nous éclaire par sa sagesse mais sa grandeur fait de l'ombre à ses successeurs. Au lieu de poursuivre son œuvre après sa mort, on s'y arrête. Toutefois c'est faire preuve d'une grande imprudence, car plus le temps passe et plus nous acquérons des connaissances. Le grand sage de jadis était certes très intelligent, et ses opinions étaient sans doute les plus logiques avec les données qu'il avait en sa possession. Mais les choses changent. Le savoir grandit. On ne doit pas demeurer fixé aux conclusions des sages d'autrefois, mais plutôt nous demander quelles auraient été leurs opinions s'ils avaient eu toutes les informations dont nous disposons.

Voilà. Donc, cette petite réflexion servait juste à réfuter le sophisme qui veut que tout ce qu'a dit un grand personnage historique soit automatiquement vrai. C'est comme si je venais de dire : «Si Aristote ou Einstein se pitchait en bas du pont, le ferais-tu?» C'est fallacieux de traiter de prétentieux quelqu'un qui remet en question l'opinion d'un génie; surtout si ce génie a vécu il y a longtemps.

Le mariage

Je n'aime pas les mariages. Pour moi ce n'est qu'un rite de plus en plus vide de sens. J'ai l'impression que c'est comme de dire à quelqu'un : «Je te promets de passer le reste de ma vie avec toi, et ce même si je cesse de t'aimer un jour.» C'est une promesse qui ne me semble ni désirable ni réalisable. Personnellement, je vais rester avec ma conjointe tant que je serai bien avec elle et il m'est inutile de me marier pour confirmer ce fait.

Toutefois, je comprends que certaines gens soient attirés par le mariage et je respecte ça. C'est une façon de célébrer l'amour qui unit deux êtres mais aussi celui qui les unit à tous leurs proches conviés au mariage. Ou ce peut n'être qu'un prétexte pour faire un gros party. Bref, je comprends et j'accepte que des gens veuillent se marier. Mais ce qui m'agace un peu, c'est quand un couple d'athées veulent un mariage religieux juste pour que ce soit «plus traditionnel» ou parce que «c'est tellement beau une église».

Je pense que vous ne réalisez pas. L'église est une institution obscurantiste qui prône des valeurs archaïques et qui fait le mal partout dans le monde. Elle essaie d'empêcher que l'on enseigne l'évolution dans les écoles, elle culpabilise les gens d'avoir des désirs, elle s'oppose à l'avortement, elle est discriminatoire envers les femmes, les homosexuels et les autres religions, elle dit aux gens du Tiers-Monde de ne pas utiliser de contraception, elle paie la caution des prêtres inculpés pour pédophilie, elle fait son argent sur la crédulité des gens, etc.

Vous marier à l'église ne sera pas gratuit. L'argent que vous donnerez au clergé pourrait bien servir à empêcher un pédophile de faire de la prison. Si vous êtes conséquents avec vos valeurs, vous ne devez pas encourager une institution qui les bafoue ouvertement.

Mais si vous voulez absolument vous marriez, je me propose pour être l'officiant – disons, le simili-prêtre – et nous pourrons ensemble composer une cérémonie qui vous conviendra. Qui aura le charme et le cute du mariage religieux tout en ayant les valeurs du progressisme.

Éthique du gourou

Peut-on, au nom de l'éthique diffuser un énorme mensonge dans le but de pousser les gens à adopter un comportement moins maléfique? Est-il moral de partir une religion véhiculant de bonnes valeurs mais une conception erronée de la réalité?

Je me dis que lorsque l'on tente de «répandre le bien» à petite échelle, on doit prioritairement utiliser la persuasion, si ça ne marche pas on utilise la manipulation et, en dernier recours, la coercition. Maintenant si l'on applique cette logique dans une tentative de répandre le bien à grande échelle, si l'on n'arrive pas à convaincre beaucoup de gens grâce à la seule persuasion, il est normal que l'on essaie la manipulation. Ainsi, c'est logique que des gourous bienveillants colportent des histoires fabuleuses qu'ils savent fausses mais qui auront un effet bénéfique pour ceux qui les entendront, ou qui convaincront d'éviter le mal et le mauvais.

Toutefois, je réprouve tout de même ce genre de pratique. Entre autres parce que la «bonne parole» diffusée par ce gentil gourou risque d'être corrompue par de mauvais messagers (opportunistes ou négligents), surtout après la mort du gourou. Il est inévitable que son message sera déformé un jour ou l'autre, en fonction de la perception et des intérêts des individus qui lui serviront de vecteur. Mais la raison principale qui me pousse à dédaigner ce genre de pratique, est que ce faux prophète se fera nécessairement «ennemi de l'intelligence». En effet, pour maintenir intact ses dogmes, l'obscurantisme sera nécessaire. Ce grand prêtre autoproclamé devra ajouter mensonges par-dessus mensonges et inhiber toute tentative de remise en question de la part de ses ouailles. Tout être doué de raison naissant dans sa religion sera systématiquement persécuté jusqu'à ce qu'il se conforme ou s'exile. Les peuples voisins, même s'ils obéissent à une éthique semblable, seront considérés en ennemis pour la seule raison qu'ils n'ont pas les mêmes croyances. Ultimement, le résultat sera quelques «bergers» rationnels condamnés à vivre dans le mensonge et une tonne de «moutons» qui s'entretuent pour savoir quels bergers est le bon.

Je pense qu'en faisant la promotion de l'intelligence avant celle du bien, on évite ce genre de dérapage. On s'assure que l'individu, au lieu de suivre aveuglément des dogmes, comprenne son éthique, ce qui lui permettra de l'appliquer de la bonne manière, et de la diffuser sans la déformer. Je pense qu'il y a plus de mal causé par l'ignorance que par une réelle malveillance. Toute éthique raisonnée devrait donc honnir l'ignorance. Donc, même si cela part d'une bonne intention, fonder une religion révélée c'est mal.

mardi 17 février 2009

Sur l'inexistence des races humaines

La première fois que l'on m'a dit qu'il n'y avait pas de races au sein de l'humanité, je ne l'ai pas cru. C'était lors d'un de mes premiers cours d'anthropologie. J'estimais alors que cette théorie n'était motivée que par une idéologie antiraciste. Bien que je sois moi-même contre le racisme – ainsi que contre toute forme de discrimination arbitraire –, je pense que le devoir de la science est avant tout d'établir la vérité sans interférence idéologique, qu'elle soit positive ou négative. Par la suite, lorsque l'on m'a expliqué plus en détails l'infondé du concept de race, je me suis rallié à cette position qui me semble aujourd'hui la seule qui soit scientifiquement défendable. Je vais donc à mon tour vous enseigner pourquoi il n'existe pas de races au sein de l'espèce humaine.

D'abord sachez que la conception des races varie considérablement selon le lieu et l'époque. Les Latinos sont aujourd'hui considérés comme une race aux États-Unis – et souvent comme de la même race que les autochtones (!) –, alors qu'à l'époque coloniale ils faisaient partie de la race blanche et étaient totalement distincts de la «race rouge» des indigènes. Et cette même race blanche des colons européens était, au début du 20e siècle, divisée en la race des Aryens, la race des Sémites, celle des Arabes, des Slaves, etc.

Ensuite, les critères choisis pour définir les races sont toujours choisis arbitrairement. Bien sûr, ce sont des traits héréditaires. Mais pourquoi choisir la pigmentation ou la forme du faciès crânien plutôt que le groupe sanguin par exemple? Choisir des critères moins visibles nous révélerait que les populations se sont mélangées plus souvent qu'on pense. Prenez les haplogroupes par exemple.

En plus, les critères choisis sont des variables continues. À partir de quel niveau de pigmentation sépare-t-on la race blanche de la race noire? Avant l'époque coloniale, les populations de l'Afrique centrale jusqu'à l'Europe du nord pâlissaient graduellement à mesure que l'on montait en latitude, sans qu'il n'y ait de point de rupture. S'il est plus facile de faire une démarcation chez les Étatsuniens, c'est que leurs ancêtres viennent surtout des deux extrémités de ce continuum (quoique le métissage très fréquent rend cette dichotomie encore plus obsolète).

Finalement, comme c'est souvent un nombre pluriel de traits qui sont considérés comme définissant les races, je pense que peu importe sous quel angle on le prend, le nombre de bâtards dans l'humanité dépassera toujours de loin celui des purs-races…

Certains me répondront «Oui, mais si les chiens ont des races, pourquoi pas les humains...?» Le sens que prend le mot «race» chez une espèce d'élevage (breed, en anglais) est différent de celui qu'il a dans une espèce naturelle (race, en anglais). Les races de chiens, de vaches ou de moutons sont créées par des croisements sélectifs ayant pour but de rassembler certains traits particuliers dans un même individu. On définit la race par un phénotype précis puis on fabrique les individus de race en les faisant correspondre à ces critères. Cela est plus un concept «artistique» (ignoble selon moi…) qu'un concept scientifique. Les espèces nées par la sélection naturelle ne possèdent pas de races.

Le sexe est une catégorie fondée sur un ensemble de traits qui sont mutuellement très corrélés (la présence des seins révèle très souvent celle d'un utérus). L'espèce est basée sur un critère unique et empirique (l'interfécondité). Mais la race, elle, n'a rien de telle. Ce n'est qu'une étiquette de plus; et c'en est une particulièrement nébuleuse. Personnellement, je pense que le problème n'est pas tant de discriminer un groupe que de continuer à croire à son existence. Je trouve aberrant que, de nos jours, les médias continuent de parler comme si les Noirs et les Blancs étaient deux groupes distincts, étanches et clairement découpés. La réalité est un continuum.

Diviser l'espèce en sous-espèce ne serait légitime que si ces dernières seraient demeurée isolée suffisamment longtemps les unes des autres pour que les membres de chaque sous-espèce aient un ancêtre commun exclusif (ce qui en feraient des clades intraspéciques) ou si les accouplements mixtes entre ces sous-espèces seraient significativement moins fertiles que les unions d'individus de la même sous-espèce (ce qui serait un début de spéciation).

Le prix de la liberté

Je vous ai déjà fait part de ma définition personnelle de la liberté et de sa distinction d'avec le libre-arbitre. La liberté est le sentiment que l'on a de pouvoir concrétiser nos désirs. Elle est en elle-même un stimulus positif, puisque sentir que l'on peut assouvir un désir apporte du bonheur sans que l'on ait à assouvir vraiment ce désir. J'appellerai donc «quête de liberté» cette motivation que l'on a de rechercher ce sentiment.

La liberté est un sentiment. Le sentiment d'avoir un pouvoir. Le pouvoir d'assouvir un désir.

Pour que notre désir de liberté nous soit profitable, il faut l'orienter de façon à ce qu'il nous mène effectivement vers un accroissement de notre pouvoir et non vers l'illusion d'avoir plus de pouvoir. D'abord, bien sûr, prendre conscience que le libre-arbitre n'existe pas et que cela n'est pas la liberté. Ensuite, comprendre que pour un pouvoir vaille la peine d'être acquis, il faut que celui-ci nous permette d'assouvir un désir. Car, il est inutile de gaspiller son énergie pour acquérir le pouvoir de faire une chose que l'on n'a pas envie de faire. Si une personne se prétend «mon maître» ou mon supérieur hiérarchique, sa présence ne me rend pas moins libre s'il n'interfère pas dans mes désirs.

Si l'on a convenu qu'une liberté que l'on cherche à acquérir est effectivement désirable et positive, on doit ensuite évaluer s'il est possible d'acquérir cette liberté et ce qu'il nous en coûterait. Je ris toujours en moi-même lorsque je vois un film hollywoodien dans lequel un personnage préfère «mourir libre» plutôt que de vivre prisonnier. Le degré de liberté qu'il acquiert soi-disant durant les secondes précédent sa mort ne vaut certainement pas la peine qu'il meurt pour. Mieux vaut être un esclave logé, nourri et relativement bien traité plutôt qu'un fugitif dont la tête est mise à prix et qui trouve difficilement de quoi se nourrir. Il est parfois sage de se soumettre à plus puissant que soi.

La tradition

L'humain n'a pas réellement d'instinct. Peut-être qu'il était jaloux des autres animaux, il les enviait de savoir toujours quoi faire et de ne pas se poser de questions. Il s'est donc créé son propre instinct artificiel : la tradition.

Une tradition est un schème comportemental complexe qui se transmet de générations en générations, en subissant parfois quelques mutations aléatoires, et que l'individu exécute docilement sans aucune forme de remise en question. La différence avec l'instinct est qu'elle n'est pas innée mais acquise, ce qui la rend plus plastique et plus sujettes aux mutations.

Je pense qu'un être minimalement doué de sagesse se doit de remettre en question sa tradition et de ne pas la laisser dominer ses choix de vie et s'écouler au travers lui vers la génération suivante sans être filtrée par la raison. Comme nous l'enseigne l'allégorie du jambon trop long, un schème comportemental issu de la tradition est «conçu» pour des circonstances particulières qui ne sont peut-être plus en vigueur. Exécuter aveuglément ce schème est au mieux ridicule, mais peu aussi s'avérer nuisible.

Bien sûr on ne doit pas rejeter en bloc tout ce qui est issu de la tradition. La sélection naturelle a agit sur nos traits culturels comme elle l'a fait sur notre génome. Ainsi, les comportements traditionnels ont parfois une fonction évolutive souvent inconnue de ceux qui les pratiquent. Toutefois, lorsque l'on réfléchit sur nos traditions, on peut, en faisant usage de notre intelligence, faire le tri pour séparer les comportements pratiques de la lourde et encombrante accumulation de contingences culturelles qui s'épaissît de générations en générations depuis nos lointaines origines.

samedi 7 février 2009

Pourquoi pas le Chaos?

Si l'univers n'a pas été créé comme une horloge par un démiurge omnipotent, pourquoi tout semble-t-il fonctionner de manière si « ordonnée »? Ce genre d'illusion mène au déisme ou au théisme, mais quand on prend la peine d'y réfléchir, on se rend compte qu'il ne peut en être autrement.

Imaginez que l'on mette dans un même milieu plusieurs entités qui ne sont pas totalement inertes. La conséquence sera qu'elles vont nécessairement se mettre à agir les unes sur les autres. Certaines vont en détruites, d'autres proliférerons. Donc si des objets actifs coexistent de façon durable c'est qu'ils ont adoptés des relations utiles pour chacun d'entre eux. Donc, de deux choses l'une, soit les entités de notre expérience seront toutes détruites après un certains laps de temps, soit certaines d'entre elles auront survécues en « collaborant », chacune adoptera un rôle utile pour l'ensemble d'entre elles. Cette normatisation des rapports entre plusieurs objets constitue l'émergence d'un système. Pour perdurer, le système devra maintenir son équilibre interne – son homéostasie – et pour cela devra entrer en relation avec son environnement car, selon le second principe de la thermodynamique, un système fermé va nécessairement cumuler du déséquilibre interne – de l'entropie – jusqu'à ce qu'il s'effondre et disparaisse.

Dans chaque système, les composants qui ne fonctionnent pas en harmonie avec les autres constituent un potentiel de destruction. Elles vont nécessairement finir par disparaître, mais certaines ne le feront qu'après avoir causé plusieurs dégâts pouvant mener jusqu'à la disparition du système auquel elles appartiennent (comme un cancer dans un organisme ou comme l'humanité dans l'écosystème). La conséquence directe c'est que les systèmes qui perdurent sont nécessairement équilibrés (c'est la sélection naturelle). La conséquence indirecte c'est une complexification continue des systèmes vers le développement de mécanismes systémiques d'autorégulation de l'équilibre (notre système immunitaire en est un bon exemple). La conscience (faculté de ressentir son environnement et d'en avoir une appréciation), la volonté (faculté de désirer des choses et de diriger le mouvement du système en ce sens) et la raison (faculté du système de se comprendre lui-même et de comprendre ce qui l'entoure) sont des mécanismes très poussé d'autorégulation de l'homéostasie.

Lorsque l'on détruit une chose, rien n'est annihilé, on ne fait que briser un système en séparant ses parties. La réaction en chaîne qui s'en suivra sera un bris des systèmes supérieurs (desquels cette chose faisait partie) et inférieurs (qui faisaient parties de cette chose). Un système qui ne peut plus trouver ce dont il a besoin pour fonctionner va se disloquer. Ce démantèlement aura un impact sur chacune de ses parties qui – étant des systèmes en soi – devront se réorganiser pour trouver leur équilibre autrement ou éclateront à leur tour. Inversement, le système duquel ce système détruit faisait partie perdra l'une de ses parties et devra donc également retrouver son équilibre autrement.

Voilà. Nul besoin de dieu. L'univers a, en soi, une inclination à l'équilibre et à l'ordre.

L'allégorie du jambon trop long

Voici une fable intéressante que m'a racontée un professeur de psychologie sociale à l'époque où j'étais au cégep. Je vous la rapporte de mémoire, dans mes propres mots. Il paraîtrait que c'est une histoire vécue :

Une femme nous montre sa recette de jambon. Elle le prépare devant nous. Avant de le faire cuir, elle coupe toujours les deux bouts de son jambon. Nous lui demandons pourquoi elle enlève ces deux extrémités bien qu'elles soient parfaitement comestibles. La femme nous répondît : «Je ne le sais pas… j'ai toujours fais comme ça, c'est la recette de ma mère.»
Alors nous allâmes voir la mère de cette femme et nous lui demandons de nous montrer sa recette de jambon. Comme elle s'apprêtait justement à en préparer un pour le souper, elle nous permet de la regarder à l'œuvre. Nous observons et constatons qu'elle aussi coupe les deux bouts de son jambon avant de le mettre au four. Nous lui demandons pourquoi. Elle nous répond : «Je ne le sais pas… j'ai toujours fais comme ça, c'est la recette de ma mère.»
Fort heureusement, la mère de cette dame était toujours en vie bien que d'un âge avancé. Nous allâmes à sa rencontre dans la résidence pour personne âgée où elle vît. Nous lui parlâmes de sa recette de jambon et lui demandâmes la raison pour laquelle il faut en tronquer les extrémités avant de le mettre au four. Elle nous répondît : «Mais pas besoin de couper les bouts! Moi je faisais ça juste parce que mon chaudron était trop petit…»

Cette parabole nous rappelle qu'un élément culturel peut passer de génération en génération et demeurer intact même s'il perd sa raison d'être initiale. En anthropologie, on appelle ça une survivance. C'est la démonstration du manque de plasticité de la tradition par rapport à la raison.

La discrimination arbitraire

Je m'efforce d'accéder au niveau de tolérance le plus élevé qu'il soit possible d'aspirer à, mais il y a certaines formes de faiblesses d'esprit – de stupidités humaines, devrais-je dire – face auxquelles je demeure manifestement intolérant. L'une d'elle étant la discrimination arbitraire. Mais au fond, ce n'est peut-être pas si terrible de ma part; tolérer l'intolérance aurait quelque chose de paradoxal.

Je précise que je parle de discrimination «arbitraire» car une discrimination peut être légitime. Par exemple, il est logique de ne pas accorder le droit de vote aux nouveau-nés en prétextant leur incapacité à comprendre la politique, mais il serait arbitraire de faire de même pour les femmes.

Je définis la discrimination arbitraire comme le fait de présupposer qu'une chose (ou une personne) correspond à certains attributs (pouvant influer sur sa valeur ou sur ses droits), en fonction de son appartenance à un groupe (les groupes étant, par nature, des catégories totalement subjectives qu'on s'invente pour simplifier la réalité qui nous entoure et donc l'appréhender en faisant moins d'effort mental) alors que cet attribut n'est pas ce qui définit le groupe (ce qui ferait de ce raisonnement une tautologie, par exemple : «Les Noirs sont plus foncés que les Blancs.») ni un trait inhérent à l'attribut qui définit le groupe (ce qui en ferait un raisonnement logique, disons : «Les Noirs sont moins vulnérables au soleil que les Blancs.»).

L'univers est un continuum. Lorsque l'on agit comme si les groupes – que l'on s'est inventé pour diviser le monde – existaient réellement, on a une forte tendance à commettre de la discrimination. On pourra favoriser un membre de son groupe, détester une personne simplement parce qu'elle appartient à la même catégorie qu'une autre (effet de halo) ou rechercher une égalité intergroupe au détriment de l'égalité interindividuelle (parité). Je développerai sans doute plus tard sur les différentes formes de discriminations arbitraires comme le racisme, le sexisme, la xénophobie, l'homophobie et le spécisme.

Il faut prendre la bonne attitude afin d'éviter ce genre d'inclinations (souvent hérités de la tradition). D'abord prendre conscience de la vacuité empirique et sémantique des catégories. Souvent les groupes sont définis de manière très arbitraire et ambiguë. Parfois ils sont clairement définis mais ils sont insuffisants pour servir d'assise rationnelle à une forme de discrimination. Simultanément, il faut focaliser sur l'individu lui-même et sur ses attributs propres plutôt que sur les idées préconçues que l'on a sur lui. Apprendre à connaître personnellement quelqu'un nous permettra de vaincre nos préjugés.

Je reviendrai sans doute plusieurs fois sur ce sujet dans ce blogue.

Débattre

Les gens me demandent souvent: «Toi qui est un grand sage, apprends-moi l'art de la rhétorique afin que je puisse moi aussi gagner lorsque je défends mes idées!» Je vais donc ici, en exclusivité, vous enseigner comment gagner un débat. Cela requiert plusieurs choses importantes:
  • Avoir raison et comprendre pourquoi;
  • Rassurer l'ego de son adversaire et lui faire sentir qu'on est dans la même équipe que lui;
  • Cesser le débat lorsque l'autre admet que son opinion ne repose pas sur la raison.

La première, la plus importante, c'est d'avoir raison. Pour avoir raison, il faut accepter que l'opinion avec laquelle on est venue au monde n'est pas nécessairement la plus meilleure de l'univers. Il faut savoir changer de camp lorsque l'on nous apporte les arguments rationnels nécessaires. Beaucoup d'orgueilleux voulant trop avoir raison s'obstineront à avoir tord. Mais il est aussi très important de comprendre pourquoi on a raison. C'est bien beau d'avoir la bonne réponse, mais si on l'a gagné au hasard, on ne pourra pas justifier notre point de vue et c'est justement notre but ici. Ces deux aspects se rejoignent puisqu'en défendant patriotiquement une opinion rigide depuis toujours, on ne la remet jamais en question et l'on ne peut donc pas comprendre en quoi elle est meilleure que celle de l'autre; si elle l'est effectivement. Se remettre en question est donc autant nécessaire à celui qui a raison qu'à celui qui a tord.

La deuxième chose important c'est de rassurer l'ego de son opposant. En effet, beaucoup de gens se sentiront «diminués» d'avoir eu tord. Il faut donc contrebalancer cette «défaite» en rassurant discrètement l'autre, en lui expliquant que son erreur est fréquente et qu'elle ne le rend pas moins intelligent, en reconnaissant tous les points sur lesquels il avait malgré tout raison, etc. Certains voient un débat comme une guerre ou une rivalité. Moi je le vois, au contraire, comme un acte de communion entre deux esprits. Il est très agréable de débattre avec quelqu'un quand chacun le fait de bonne foi. Autrement, un débat d'idées peut dégénérer en un combat d'ego. Normalement, j'apprécie beaucoup débattre de mes idées avec autrui, mais cela devient désagréable pour tout le monde s'il y en a un qui fait preuve de mauvaise foi en évoquant des sophismes qui ne le convaincrait pas lui-même. C'est pour éviter, justement, que la personne avec qui l'on débatte ne nous voit comme un «ennemi» (et qu'elle refuse, pour cette raison, d'admettre qu'elle a tord) qu'il faut lui faire sentir qu'on est du même côté qu'elle. Cela peut être accompli en soulignant les aspects qui convergent entre nos deux opinions, ou en rappelant que l'on a au fond les mêmes objectifs. S'il s'agit d'un débat sur une question éthique, il faut rassurer l'autre en lui disant que même si nos éthiques divergent, nous le considérons tout de même comme une bonne personne.

Malgré tout, l'autre ne reconnaîtra probablement pas votre victoire si vous l'amener trop rapidement trop loin de son opinion de départ. Rappelons-nous l'allégorie de la caverne qui nous enseigne que celui que l'on tente de forcer à «monter vers la lumière» répondra agressivement. Pour rester dans la même métaphore, je dirais que l'on doit se contenter de briser les chaînes de celui qui est prisonnier dans les ténèbres, mais que c'est à chacun de tracer le chemin de sa propre ascension vers la lumière. En d'autres termes, on peut lui présenter les faits et le laisser lui-même se diriger vers les conclusions. Adoptons donc des objectifs réalistes quand on essaie de convaincre quelqu'un. Par exemple, il serait naïvement idéaliste de croire qu'une conversation suffirait à convaincre un créationniste que Dieu n'existe pas, mais on peut commencer par l'amener à reconnaître la différence entre connaissance et foi, puis lui démontrer qu'en certaines circonstances la connaissance est plus sûre que la foi. On sème une idée dans son esprit, elle y germera si elle y trouve un terreau fertile. Ainsi, je préconise de cesser le débat aussitôt que l'autre reconnaît tacitement que son opinion ne repose pas sur la raison, en admettant qu'il suit son intuition, sa tradition ou ses goûts personnels. L'important c'est surtout de lui donner une bonne image de notre propre opinion, et non de dénigrer la sienne.

mardi 3 février 2009

Les obscurcis et les porteurs de ténèbres

J'ai déjà parlé sur ce blogue de ce qu'étaient l'obscurantisme ainsi que de ses conséquences. J'apporterai maintenant une distinction entre ceux qui sont victimes de l'obscurantisme et ceux qui en sont les vecteurs. Notez que l'on peut être à la fois victime et vecteur de ce virus de l'esprit.

Les gens qui ne font que croire sans rien demander à personne ne me dérangent pas trop. Il est évident que je trouve souvent agaçante leur fermeture systématique face au dialogue, cependant ils ne font rien de mal (à moins que leur croyance ne les poussent à commettre des gestes répréhensibles). Ceux qui me dérangent sont les gens qui essaient de répandre leur croyance.

On peut admettre qu'il y a des prêcheurs qui croient honnêtement aux inepties qu'ils véhiculent. Par exemple, je n'ai pas de raison de douter que le Pape se croit vraiment le porte-parole du Saint-Esprit. De même, certains qui se disent en contact avec des anges, des esprits ou des extraterrestres pourraient n'être que les victimes d'une forme de schizophrénie. Ils entraînent tout simplement les autres dans leur délire.

Toutefois, la plupart de ces « porteurs de ténèbres » sont très certainement conscients de l'infondé des croyances qu'ils colportent. Il y a toutes les chances que ce soient des charlatans voulant délibérément tromper dans le but de s'enrichir aux dépens des gens moins instruits. On ne peut pas tous tout connaître. Si quelque chose a l'air d'être scientifique, on va s'y fier et l'essayer alors qu'on est peut-être en train de se faire avoir. Pourquoi, au nom de la liberté d'expression, laisse-t-on les charlatans de tout genre s'adonner à leur magouille? Il me semble que l'office de protection du consommateur devrait intervenir. On pourrait faire comme pour le tabac et apposer une étiquette sur les livres ésotériques ou les pseudo-médicaments des médecines alternatives qui dirait par exemple : « Attention, toutes les expériences contrôlées réalisées jusqu'à présent démontrent que ce produit est sans efficacité aucune ».

En attendant, je m'adresse aux honnêtes prêcheurs et je vous dis ceci : Si la foi se fonde sur une conviction personnelle et non sur une démonstration scientifique, alors l'action même de « répandre la bonne nouvelle » est insensée. Car si vous n'avez aucune autre preuve à me donner que votre religion est la bonne, à part « J'y crois très fort! », vous n'avez strictement rien de plus que vos compétiteurs. Si vous me dites que vous croyez à Dieu uniquement parce que vous « sentez sa présence », je pourrai vous répondre que moi je ne sens rien de tel. Alors, de deux choses l'une, soit je suis aveugle soit vous hallucinez. Sans preuve, sans démonstration, sans argument, il est impossible de convaincre qui que ce soit rationnellement. Revenez me voir quand vous aurez quelque chose de plus tangible. Demandez-vous si l'argument que vous m'apportez vous convainc vous-mêmes. Tant que votre croyance demeure uniquement viscérale, il est négligent d'essayer de la répandre. Car, si vous vous trompez, vous induisez les autres en erreur.

L'arbitraire de nos catégories mentales

Comme je l'ai dis précédemment, je vois l'univers comme un continuum. J'ai dis que toutes nos façons de découper le monde étaient arbitraires, mais ce n'était pas totalement vrai. On peut voir l'univers comme un grand Tout insécable mais il y a certains entités qui sont, disons, plus « réelles » que d'autres ou au moins plus empiriques. Je désigne donc les regroupements selon plusieurs types : les îles, les agrégats, les taxons, les systèmes, les fonctions et les catégories.

J'appelle « île » toute agglomération qui est suffisamment homogène et suffisamment distincte de ce qui l'entoure. Si je tiens une roche dans mes mains, je puis dire qu'elle est une « chose réelle » et qu'il ne s'agit pas que d'une « convention sociale arbitraire » que de considérer qu'elle constitue une entité distincte de l'air autour d'elle. Le taux d'homogénéité interne de l'île peut varier.

Je désigne comme « agrégat » un ensemble de particules non-homogènes mais qui adhèrent les unes aux autres davantage qu'avec leur environnement. Par exemple, un objet comme un crayon est composé de mine, de bois et de métal, mais tous sont soudés ensemble de sorte qu'ils se déplacent ensemble dans l'univers.

Ces deux premiers types d'ensemble sont assez peu arbitraires puisqu'ils sont tangibles à notre échelle. Ils constituent des entités, des unités, des objets ou des individus. Mais qu'en est-il des ensembles plus grands? Des regroupements de ce type d'entités?

Une catégorie est un ensemble d'unités que l'on regroupe ensemble sur la base du fait qu'elles partagent certains attributs communs. Le choix de ces traits communs est nécessairement arbitraire. La catégorie n'est vraiment qu'un pur raccourci mental pour appréhender la complexité de l'univers. Il ne faut donc pas faire comme si cet ensemble existait empiriquement. Je parle ici des races, des nations, des cultures, etc. Il n'y a empiriquement rien qui « relie » les entités composants une telle catégorie; ni une proximité, ni une interaction.

Un système est un ensemble d'entités qui interagissent les unes avec les autres significativement plus qu'avec leur environnement. Même si le degré d'ouverture du système varie et qu'il prend normalement part à un système plus grand que lui, je pense que l'on peut considérer le système comme l'unité la moins arbitraire pour circonscrire « une chose ». Un organisme est un système qui lui même fait partie d'un écosystème tout en étant composé de plusieurs systèmes (cardiovasculaire, nerveux, endocrinien, digestif, etc.). C'est le seul ensemble supra-individuel qui me semble avoir une existence propre empiriquement parlant.

Un taxon me semble également une manière légitime de classer les entités. J'entends par là un ensemble d'unités qui ont un ancêtre commun. C'est principalement pour classer le vivant que l'on utilise cette classification. C'est pratique pour faire des sous-catégories. Notez toutefois que le taxon n'est pas « une chose en soi » mais demeure une catégorie abstraite. Ses composants n'interagissent pas suffisamment les uns avec les autres pour constituer un système. C'est, par contre, une classification plus scientifique que la simple catégorie puisque les attributs ne sont plus associés arbitrairement.

Une fonction peut également servir à classer les choses. Principalement, pour classer les objets de fabrications humaines (ce qui distingue un tabouret d'une table à café serait l'usage que l'on en fait plus que l'apparence) mais aussi, pour classer les entités à l'intérieur d'un système. Par exemple, si l'on classe les humains par profession ou par sexe. Ce type d'ensembles existe empiriquement à l'échelle de son système mais pas nécessairement dans les attributs intrinsèques des unités qu'il rassemble. Souvent, ces dernières auront une plasticité suffisante pour changer de fonction et l'on doit en tenir compte.

On peut donc en conclure que certains ensembles sont « plus empiriques » que d'autres et que certains sont moins arbitraires que d'autres. Toutefois, il n'en demeure pas moins que ces classifications ne doivent exister que pour faciliter notre compréhension de l'univers. Conservons en mémoire qu'elles sont avant tout des façons de nous représenter le réel et non le réel lui-même.