mardi 29 décembre 2009

Donner des cadeaux

Comme je vous l'ai déjà mentionné dans ma réflexion sur Noël, le fait de s'échanger des cadeaux en cette fête n'est pas vraiment quelque chose que j'apprécie. En fait, ça n'a plus vraiment de sens à mes yeux.

Quand j'étais enfant, j'aimais recevoir des cadeaux à Noël. Je n'avais à cet âge qu'un faible pouvoir d'achat. Si bien que si je voulais quelque chose le moindrement coûteux, il me fallait nécessairement le demander en cadeau pour ma fête ou pour Noël. Aujourd'hui, bien que je sois de revenu plutôt modeste, je dispose néanmoins de suffisamment de moyens pour m'acheter ce que je veux quand j'en ai besoin. Conséquemment, ce que je recevrai pendant les fêtes sera toujours quelque chose de plutôt superflu ou alors que j'aurais très bien pu m'acheter moi-même (au lieu d'acheter un cadeau pour la personne qui me l'aura acheté).

Il y a, en plus, différents inconvénients supplémentaires au rite d'échange de cadeaux. D'abord le fait d'avoir à trouver un cadeau pour chaque personne peut être difficile. Ça prend de l'inspiration. J'aimerais pouvoir faire des cadeaux à n'importe qui, n'importe quel jour de l'année, si par exemple je vois quelque chose et que je me dis que ça plairait à l'un de mes proches. Mais à Noël c'est trop artificiel. Ça devient un devoir. Si l'on est obligés de se dire les uns les autres ce que l'on désir recevoir, ça revient presque au même que d'aller se l'acheter soi-même.

Ensuite, il y a le fait que l'on n'aura pas nécessairement ce que l'on veut. Bien sûr, on peut demander quelque chose de précis, mais même dans ce cas-là on n'aura peut-être pas le modèle ou la marque qui nous aurait vraiment plût et que l'on aurait choisie si l'on se l'eut acheté soi-même. Par exemple, si je demande une balayeuse, je n'en obtiendrai peut-être pas une qui me plaît. Et, une fois que j'en aurai une, je ne pourrai plus vraiment m'en acheter une à mon goût tant que celle-là fonctionnera.

En plus, durant la période qui précède les fêtes, je dois me retenir de m'acheter des choses dont j'ai besoin, au cas où l'on déciderait de me les offrir en cadeaux. Et, une fois les fêtes passées, je n'ai plus les moyens de m'acheter ces choses dont j'ai besoin et que je n'ai pas reçues en cadeaux.

Faisons un exercice. Prenons ces deux variables :
  • X = Tout ce que nous avons reçu comme cadeaux à Noël cette année.
  • Y = Tout ce que nous avons dépensé à Noël cette année pour acheter des cadeaux à ceux de qui nous en avons reçu.

Si l'on nous proposait comme transaction de payer Y pour acheter X, nous refuserions probablement. Et ce n'est pas parce que l'on donne plus que ce que l'on reçoit, c'est simplement parce que ce que l'on reçoit ne nous plaît pas suffisamment ou n'est pas suffisamment nécessaire pour qu'il vaille la peine de débourser une telle somme pour l'acquérir. Et c'est là qu'est moins point. Tout ce rituel d'échange de cadeaux n'a de valeur que symbolique et traditionnelle. C'est une sorte de potlatch ou de contredon. Un sacrifice d'argent sur l'autel du capitalisme. Mais il est, en soi, nuisible pour tout ceux qui y participent.

L'autre jour, j'ai croisé un vendeur du journal L'Itinéraire qui disait aux passants de donner de l'argent pour aider les sans-abri en utilisant comme argument que «C'est le temps des fêtes, c'est le temps d'être généreux!» Et moi je me suis dis que, justement, c'était le temps de l'année où j'avais le moins les moyens de donner aux pauvres puisque j'avais trop de cadeaux à acheter pour mes proches. C'est ce qui m'a fait me dire que le rite d'échange de cadeaux n'avait aucun sens et était même paradoxal. Il est sensé se baser sur une sorte de désir d'être généreux alors qu'il n'est en fait qu'un devoir nous empêchant d'être généreux envers ceux qui en ont vraiment besoin.

Bref, pour moi le fait de donner à Noël n'a de sens que si c'est à quelqu'un qui n'en a pas les moyens; comme un enfant ou une victime de la pauvreté. Je crois que l'année prochaine, je vais simplement dire à mes proches : «Donnez-moi rien comme cadeaux parce que moi je ne vous donnerai rien!» Et juste pour pas qu'on me prenne pour un égoïste, je donnerai l'argent que j'ai économisé à une œuvre de charité.

––

P.S. – Et je ne dis pas ça parce que j'ai été déçu de mes cadeaux ou quoique ce soit du genre. Je suis correctement satisfait de ce que j'ai reçu. C'est simplement une réflexion qui me vient chaque année pendant que j'achète mes cadeaux de Noël.

lundi 28 décembre 2009

Les mythes pour enfants

Afin de divertir et d'émerveiller les enfants, on leur raconte souvent des histoires qui ne sont pas réelles; comme les contes de fées par exemple. On fait intervenir dans ce type de récit toute sortes d'éléments fantaisistes et surnaturels auxquels les adultes qui les racontent ne prêtent pas foi.

Là-dessus je n'ai rien à redire, bien que je demeure convaincu que l'on peut susciter chez l'enfant de l'émerveillement pour les réalités scientifiques autant que pour des histoires fantastiques. Il me semble que l'on pourrait très bien lui apprendre à s'émerveiller des vraies choses de la vie : l'araignée qui tissent sa toile, le mouvement des planètes ou la complexité de notre organisme. Le faire s'émerveiller de choses grotesques et absurdes le rendra blasé de la vie à l'âge où il saura que toute ces salades sont fausses.

Malgré tout, il n'y a rien de mal là-dedans. Même si l'on sait que l'enfant, tant qu'il n'aura pas atteint un certain âge, ne pourra pas distinguer la réalité de la fiction, et donc qu'il prend très certainement cette histoire fictive pour un fait vécu, on ne lui ment pas en ne faisait que lui raconter l'histoire en question. Lorsqu'il aura acquis la maturité requise, il pourra départager le vrai du faux et nous demander directement ce qu'il en est au besoin.

Toutefois, je trouve qu'il n'est pas correct d'affirmer explicitement que ces histoires sont véridiques. Par exemple, l'histoire du Père Noël ou de la fée des dents. On ne fait pas que raconter une histoire fantaisiste, on tente délibérément de faire croire à l'enfant qu'elle est authentique en manigançant une mise en scène (mettre des cadeaux sous le sapin pendant la nuit) et en falsifiant les preuves. Bien sûr, le mensonge n'est pas mal en soi, mais il faut réfléchir à ses conséquences avant d'en user. Pour moi, cette tradition de raconter des contes à nos enfants en les faisant passer pour vrais n'est pas compatible avec le désir qu'ils développent leur capacité à réfléchir et leur esprit critique. Au contraire, c'est désirer que notre enfant vive dans une joyeuse illusion plutôt que dans la réalité; c'est de l'obscurantisme.

Et c'est encore pire si l'enfant nous pose directement la question «Est-ce que le Père Noël existe vraiment?» et qu'on lui répond par l'affirmative. Qu'espère-t-on en lui mentant ainsi? Qu'il y croit pour toujours? Pourquoi serait-il désirable que notre enfant croie le plus longtemps possible en ce genre de faussetés? Il me semble que l'on devrait au contraire nous réjouir du fait qu'il ait pu remettre en question ses propres croyances au point de nous poser lui-même cette question. On devrait l'aider dans le développement de sa raison plutôt que de l'inhiber de la sorte. Par ailleurs, si on ne lui dit jamais la vérité, l'enfant pourrait aussi bien y croire pour toujours. La preuve c'est que l'on continue souvent d'avoir foi aux croyances irrationnelles qu'on nous a enseigné avant que l'on n'atteigne l'âge de raison.

Je suis toutefois un peu moins à l’aise de dire la vérité à un enfant s’il me demande, par exemple, «Qu’est-ce qui se passe quand on meurt?» Je ne me vois pas lui dire qu'il n'y a rien après la mort, provoquant ainsi une crise existentielle, mais il n'est pas question non plus que je lui dise que l'on va au Paradis. Je pourrais toutefois, si un enfant me demande où se trouve un être décédé, me contenter de lui dire qu'il se trouve «dans le passé». Son esprit d'enfant, ne comprenant pas la signification de mes paroles, considérera le passé comme un lieu, au même titre que le Paradis, et trouvera réconfort en se disant que ses proches décédés s'y trouvent. En vieillissant, il pourra prendre conscience de la réalité lorsqu'il aura acquis la maturité nécessaire; ou alors substituer le mot «passé» par «paradis» s'il choisit la voie de l'obscurantisme. Ce serait donc comme lui raconter un conte de fée sans prétendre que c'est la vérité.

Bref, pour en revenir au sujet de départ, je dirais qu'il est correct de raconter aux enfants l'histoire du Père Noël comme on leur raconte celle du Petit Chaperon Rouge ou de Spiderman, mais que c'est un peu leur manquer de respect que de leur faire croire activement que cette fiction est réelle.

lundi 21 décembre 2009

Faut-il suivre son intuition?

Qu'est-ce donc exactement que l'intuition? Une sorte d'instinct vestigial? La voix de Dieu? Doit-on l'écouter ou l'ignorer?

Je pense personnellement que l'intuition est une sorte de «raisonnement inconscient», c'est-à-dire que notre cerveau aura fait une réflexion quelconque mais ne nous en aurait donné que la réponse sans révéler sa démarche. L'attitude la plus sage par rapport à nos intuitions serait donc d'essayer de comprendre leur logique, puis d'en évaluer la justesse, avant de nous y fier.

Par exemple, si je croise un homme dans la rue et que je ressens de la méfiance envers lui, je ne dois ni ignorer ce sentiment ni m'y soumettre aveuglément, je dois l'analyser. Si je me rends compte que je me méfie de cet homme simplement parce qu'il ressemble à l'acteur qui jouait le méchant dans un film que j'ai vu la veille, je m'apercevrai que mon intuition négative était injustifiée. Mais mon intuition sera pertinente si je constate plutôt que cet homme ressemble au dangereux criminel évadé de prison que j'ai vu aux nouvelles la veille et que ce peut fort bien être lui.

On peut toutefois se permettre de suivre aveuglément notre intuition dans un contexte où l'on n'aurait pas le temps de l'analyser et où le bénéfice qu'on en tirerait serait supérieur à la nuisance potentielle pour autrui. Par exemple, s'il s'agit simplement de changer de trottoir parce que j'ai le pressentiment que l'individu que je m'apprête à croiser est dangereux, je puis le faire sans me poser trop de questions étant donné que mon geste ne porte préjudice à personne. Si par contre j'évite d'engager une personne compétente parce que j'ai un mauvais pressentiment à son égard, écouter mon intuition pourrait lui être préjudiciable

Pour beaucoup de croyants, la voix de leur intuition est en fait celle du Tout-Puissant Créateur de l'Univers qui s'adresse à eux directement. Mais en sont-ils vraiment si sûrs? Je propose cette mise en situation pour vérifier :
Tu es coincé avec plusieurs personnes dans une pièce où se trouve une bombe. Heureusement, il y a un membre de l'escouade anti-bombe parmi vous. Il tente donc de désamorcer l'engin explosif, mais s'arrête en disant: «Il y a quatre fils… un bleu, un rouge, un vert et un jaune. Je dois en couper un et un seul… mais je ne sais pas lequel.» il se dit pourtant intérieurement : «…mais j'ai l'intuition que c'est le bleu.» La plupart des gens qui sont là ont, quand à eux, l'intuition qu'il faut couper le fil rouge. Il y a un prêtre parmi vous; ce dernier a l'intuition qu'on doit couper le fil vert. Finalement, ta propre intuition te recommande de couper le fil jaune.

Quel fil devrais-tu couper? Quelle intuition devrais-tu suivre? La tienne? Celle de la majorité? Celle du spécialiste? Ou celle de l'homme qui prétend être en contact avec un dieu omniscient?

Il est évident que c'est l'intuition du spécialiste qu'il faut suivre. Il y a plus de chances pour que son raisonnement inconscient ait utilisé des données pertinentes puisées quelque part dans son cerveau, que l'intuition d'une personne qui ne connaît rien dans ce domaine.

Les animaux se mangent entre eux

Lorsque je confesse mon végétarisme, il n'est pas rare que j'entende l'argument suivant :
«Mais les animaux se mangent entre eux! Donc c'est correct|naturel|nécessaire qu'on les mange aussi.»

Analysons donc cet argument. On peut en fait l'interpréter de plusieurs manières. Le premier sens possible serait que, compte tenu que les animaux commettent cet acte de tuer d'autres animaux, alors ils ne méritent pas mieux que d'être tuées eux aussi. Comme je vous l'ai déjà mentionné dans ma réflexion sur la justice, pour moi la seule souffrance qu'il soit légitime d'infliger à un individu étant source de souffrances, c'est la souffrance minimum requise pour qu'il cesse lui-même de causer de la souffrance. Donc tuer les animaux pour cette raison est aussi peu légitime que la peine de mort le serait pour l'humain.

Par ailleurs, les animaux que l'on mange ne sont pas des tigres ou des loups. Ce sont des vaches, des poules et des cochons. Ces animaux ont tous une alimentation exclusivement végétale (sauf lorsqu'on ajoute de la farine animale à leur moulée). Pour que cet argument soit cohérent (ce qui ne le rendrait pas plus éthique) il faudrait que celui qui l'utilise se nourrisse exclusivement d'animaux carnivores.

Troisième point, c'est que les animaux qui se nourrissent d'autres animaux n'ont pas vraiment d'autres alternatives. Le loup ne peut survivre sans viande. Et même si ce serait théoriquement possible de lui concevoir des substituts, le loup a la capacité de se pourvoir en viande mais pas celle de cultiver un champ de soya. Cette prédation est un acte de survie, donc de l'égoïsme légitime. L'humain n'a pas cette excuse. Nous pouvons très bien vivre en nous passant de viande.

De toute façon, comme l'animal est un être irrationnel, ses agissements ne sont aucunement régis par une quelconque éthique. Il suit son instinct et son intuition. Un chat peut torturer une souris pendant des heures par pur plaisir. Quelques uns de mes détracteurs s'arrêteront sur ce fait en arguant que l'on n'a aucun devoir moral envers celui qui (en raison de son faible intellect) ne peut prendre d'engagement moral envers nous. Mais si on laissait les vaches ou les poules en liberté, il y a peu de chances pour que, dans leurs activités normales, elles portent atteintes à nos intérêts. Donc si l'on faisait semblant de signer un contrat social avec ces bêtes, aucun de leurs actes ne le transgresseraient.

Par ailleurs, cette vision des choses impliquerait que les humains irrationnels – c'est-à-dire les enfants et les gens atteints d'une déficience intellectuelle – soient également exclus de notre considération éthique pour la même raison. Or, au contraire, on a tendance à être beaucoup plus tolérant envers les humains non doués de raison qui nous causent préjudice, qu'envers ceux qui savent ce qu'ils font. L'irrationalité de la bête impliquerait donc que l'on n'ait moins d'attentes envers sa capacité à respecter nos intérêts, mais pas que l'on ne tienne pas compte des siens.

Une autre façon d'interpréter l'argument intitulant cette réflexion, ce serait qu'il est correct de manger les animaux, non pas pour les punir du fait qu'ils se mangent entre eux, mais parce qu'ils nous montrent l'exemple à suivre. C'est un paralogisme considérant que les actes des animaux sont «naturels» (puisqu'ils ne sont pas «corrompus» par la culture ou la réflexion) et que tout ce qui est naturel est éthique. Il est palpable dans cette déclinaison de l'argument en question:
«Si les vaches étaient carnivores, elles ne se poseraient pas ce genre de questions avant de te manger!»

Interprété dans ce sens, l'argument est fallacieux du fait que les animaux ont moult pratiques que nous ne voudrions jamais prendre en exemple (inceste, viol, etc.). J'ajouterais qu'il est étrange de se vanter d'avoir aussi peu de jugement qu'une vache…

mardi 8 décembre 2009

Réceptivité ou imagination?

Il semble que les histoires incroyables, allant à l'encontre de notre conception du monde, arrivent toujours aux mêmes personnes. On dit qu'elles sont «réceptives», c'est-à-dire que leurs facultés sensorielles (ou extrasensorielles) sont capables de percevoir des choses que le monde normal ne voit pas.

Mettons. Mais suis-je le seul à trouver louche le fait que les gens «sensibles» aux fantômes ont également plus de chances d'apercevoir un vaisseau extraterrestre? Il me semble que le fait de vivre une expérience surnaturelle ou paranormale (à supposer qu'elle soit réelle) est suffisamment rare pour qu'il y ait très peu de chances que la même personne en revive une autre. Non?

Un autre élément que je trouve étrange, c'est que les gens qui vivent une telle expérience – vision de la Sainte Vierge ou enlèvement par des extraterrestres – sont le plus souvent ceux qui croyaient préalablement en ce genre de chose, ou qui y étaient «ouverts». Et, le plus souvent, si on élague leur témoignage de l'interprétation qu'ils en font, on se rend compte qu'ils n'ont fait qu'associer arbitrairement un phénomène sans explication (lumières étranges dans le ciel, bruits bizarres dans une vieille maison, etc.) avec une explication sans phénomène (les esprits, les extraterrestres, etc.) souvent moins pour expliquer l'un que pour justifier leur croyance préalable en l'autre. Le même phénomène (disons, une lumière étrange dans le ciel) pourra avoir une explication différent selon si le témoin croit plus aux extraterrestres ou aux anges.

Et c'est aussi par hasard, je suppose, que l'on considère que les jeunes enfants, les déficients mentaux, les gens qui sont sous l'influence de la drogue, ceux qui jeûnent ou ceux qui sont seul dans un cloître depuis une semaine sont plus «réceptifs» alors qu'ils sont justement plus susceptibles d'halluciner ou de trop croire leur imagination? N'est-il pas douteux que les gens sceptiques subissent moins d'«expériences extraordinaires» que ceux qui y croient? Sont-ce qu'ils dégagent des énergies négatives rebutant les anges et les extraterrestres, ou est-ce plutôt qu'ils ne sautent pas rapidement sur des conclusions hâtives?

Je vais conclure en citant une énième fois cette merveilleuse phrase anti-miracles de David Hume (1711-1776):
«nul témoignage ne suffit à établir un miracle, à moins que (...) sa fausseté en fut plus miraculeuse que le fait qu'il tente d'établir»

Une hallucination est toujours plus probable qu'une entorse aux lois de la physique. L'existence de la faillibilité de nos sens est avérée, celle des esprits et des extraterrestres non. Que les personnes réceptives aient en fait trop d'imagination ou qu'elles soient plus sujettes aux hallucinations, m'apparaît plus probable - selon le principe du rasoir d'Occam - que la véracité de leur témoignage. L'existence réelle des choses (objectivité) nous est confirmée par le fait que l'on est plusieurs à les percevoir (intersubjectivité), mais si je suis le seul à avoir vu ce fantôme, rien ne me dit qu'il existe en-dehors de mon esprit.

lundi 7 décembre 2009

Confluence entre science et éthique

La science et l'éthique sont deux choses distinctes. L'une et l'autre répondant respectivement aux questions «Qu'est-ce que le vrai?» et «Qu'est-ce que le bien?», deux des questions canoniques de la philosophie. Malgré tout, peut-on utiliser une méthodologie semblable pour trouver des réponses à ses deux questions? Sur ce blogue, je vous parle principalement du scepticisme scientifique et de l'éthique utilitariste. Pour moi les deux sont interreliés en une même vision du monde. Ils découlent d'une même attitude face à ses deux questions : terre-à-terre, esprit critique, principe de parcimonie, etc. Essayons de démontrer la filiation de ces deux volets de mon blogue.

Disons que j'essaie de me demander ce qu'est le bien en supprimant ce qui est nié par la science. Par exemple, disons que je prends une éthique théologique voulant qu'un péché soit une faute envers autrui, envers soi-même ou envers Dieu. Il m'apparaîtra alors que je puis supprimer de mes considérations les soi-disant fautes envers Dieu (son existence étant indémontrable, le fait qu'il puisse réprouver certaines de mes actions l'est encore plus). Si l'on adopte une attitude scientifique, on ne peut plus dire que telle action est mal simplement parce que Moïse en aurait reçu l'interdiction divine sur le mont Sinaï ou parce que ça ferait pleurer le p'tit Jésus. Bref, toute éthique basée sur des révélations ou sur une conception surnaturaliste du monde entre nécessairement en contradiction avec la science.

Qu'en est-il des autres éthiques qui sont purement philosophique sans référence au surnaturel? Si l'on utilise une éthique qui prend pour pilier un concept abstrait* on doit prouver que cette abstraction existe «scientifiquement» et qu'il y a une raison logique d'en faire la base de notre éthique. Par exemple, dire que le but de l'éthique serait de nous aider à rester «pur» serait antiscientifique puisqu'il n'y a pas de différence tangible entre le corps d'un homme chaste et celui d'un assassin violeur. Même chose pour n'importe quelle autre de ces variables; que ce soit le devoir, la vertu, l'ordre ou un autre concept du même genre. Ce sont des abstractions, des fictions. Le bonheur et la souffrance, par contre, existent empiriquement. Grâce à la science, on peut donc élaguer notre éthique de toute considération arbitraire pour s'en tenir à la règle d'or : «Considérons les intérêts des autres tel que nous voudrions qu'ils considèrent les nôtres.»

La science contribue également à l'éthique en nous donnant plus de savoir et de pouvoir. Dans les temps passés, on considérait généralement la femme, l'esclave et l'étranger comme ayant moins de droits que l'homme libre natif. C'est grâce à la science que l'on a pu montrer l'infondé de ce genre de discrimination, mais cela n'aurait pas suffit à l'abolir. Si l'on a pu libérer les esclaves et les serfs, c'est parce que l'on dispose maintenant de la machinerie pour suppléer à leur travail sans rémunération. Si l'on a permis aux femmes d'accéder au marché du travail, c'est parce que l'on a maintenant les outils pour accomplir plus rapidement les tâches ménagères et la préparation des repas. Bref, il faut non seulement que l'on sache que cette discrimination est sans fondement, mais il faut également que l'on ait une alternative nous permettant de l'éviter. Ces deux préalables sont comblés par la progression de la science. La prochaine étape sera l'élimination du spécisme, puisque l'on sait maintenant que les bêtes souffrent comme nous (grâce à la biologie et à l'éthologie) et que l'on peut de plus en plus nous passer d'elles tant pour nous habiller que pour nous nourrir ou pour l'expérimentation scientifique.

Finalement, la science nous permet également de voir à plus long terme donc d'anticiper que nos gestes présents auront un impact sur le bonheur et la souffrance dans le futur. Je pense à notre conscience environnementale par exemple. C'est grâce à la science que l'on sait maintenant que les activités humaines ont un impact sur les écosystèmes et le climat.

Bref, le scepticisme scientifique tel que je le conçois va de pair avec l'éthique utilitariste que je prône. Pour moi l'un ne va pas sans l'autre.

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*telle que la souillure et la pureté, le devoir ou la vertu, la loi et l'ordre, la valeur, la hiérarchie, le sacrifice, l'honneur, la justice, le mérite, les principes, la propriété, la dignité, des catégories, la vengeance, le respect de la tradition ou celui de l'ordre naturel des choses.

samedi 5 décembre 2009

Noël n'est pas une fête religieuse

Les fêtes approchent et l'on me dit souvent :
«Toi qui est très athée, tu ne devrais pas fêter Noël puisque c'est une fête chrétienne!»

C'est drôle mais, la dernière fois que j'ai ouvert une bible, je n'y ai vu aucune mention du Père Noël ni de ses rennes ou de ses lutins.* Il n'y a rien non plus dans le Lévitique qui dise «Tu érigeras un sapin dans ta demeures. Des guirlandes et des cannes bonbons, tu y accrocheras!» À part la crèche, l'iconographie du temps des fêtes ne fait pas référence au culte chrétien. Même chose pour Pâques… je vois difficilement de lien entre un gars qui ressuscite et un lapin qui distribue des œufs. Et pourquoi on peut pas manger de chocolat durant le carême? Ça existait même pas dans ce temps-là!

Mon point c'est qu'il y a une différence entre les fêtes religieuses (Nativité, Résurrection) et les fêtes folkloriques qu'on leur a superposés (Noël, Pâques). Elles sont de la même nature que le Jour de l'An, la Saint-Jean-Baptiste, le souper de cabane à sucre ou l'épluchette de blés d'Inde. Ce sont des traditions sans lien avec le surnaturel. Fêter Noël n'est donc pas un geste religieux si je ne mets pas de crèche sous mon sapin et si je n'assiste pas à la messe de minuit. Ça me fait penser à ceux qui voulaient retirer les sapins de Noël des centres d'achat pour une raison de laïcité. Le sapin de Noël est le symbole de cette fête du capitalisme dont les centres d'achat sont les grands temples! En retirer les sapins est aussi absurde que de retirer les crucifix des églises.

Mais c'est vrai que le Noël folklorique n'est pas non plus aligné sur mes valeurs. Gaspiller mon précieux argent pour acheter un paquet d'inutilités à mes proches et recevoir en retour toutes sortes de ramasse-poussière qui iront orner le fond de mon garde-robe avec ceux des années précédentes, est à des lieux de mon mode de vie de simplicité. Le plus beau cadeau qu'on puisse me faire, c'est de m'épargner d'avoir à en donner. Par ailleurs, le banquet de tourtières et de dinde qui y est servi normalement n'est pas vraiment compatible avec mon végétarisme. Toutefois, j'aime bien me réunir avec des gens que j'apprécie. Je continuerai donc de célébrer Noël puisque c'est ce qui se fête dans ma famille et ma belle-famille. Toutefois, quand je suis celui qui organise un party du temps des fêtes, il n'y a pas d'échange de cadeaux.

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*Il n'y a rien non plus qui légitime le Pape, les églises ou le clergé en général, ni rien sur les sacrements, sur l'immaculée conception ou sur les autres dogmes… mais c'est un autre sujet.

lundi 30 novembre 2009

Sens de la vie et de l'après-vie

Comme je l'ai déjà mentionné dans ma réflexion sur la vie après la mort, certaines personnes pensent qu'il est nécessaire, pour donner un sens à sa vie, de croire qu'il y a quelque chose après la mort et que notre conscience est immortelle. Pour moi, il n'y a rien après la mort mais cela n'enlève rien à la valeur de la vie; au contraire. On cherche à donner un «sens» à sa vie parce que l'on sait que l'on cessera d'exister un jour et que l'on veut laisser au monde une part de nous-mêmes qui nous survivra. Mais si je crois que vais exister pour toujours, je n'ai pas besoin de sens.

Décortiquons un peu tout ça. D'abord, faisons une distinction entre notre «vie terrestre» (période séparant notre naissance de notre mort) et notre «existence totale» (notre vie terrestre plus tout ce qu'il y aurait après ou avant). Pour moi, évidemment, les deux ne font qu'un, mais pour une personne qui croit en la survivance de l'âme, il y a une distinction énorme. La question que l'on pourrait se poser, c'est si la croyance en l'après-vie donne un sens à notre vie terrestre ou à notre existence totale?

À la base, si une personne se contente de croire qu'il y a quelque chose après la mort, alors je dirais que cela ne donne pas de sens à la vie terrestre. C'est tout le contraire, la vie ne devient qu'un pénible et bref instant à passer avant de pouvoir accéder au party perpétuel de l'immortalité postmortem. Cela ne donne pas non plus de sens à notre existence totale, en fait ça nous évite d'avoir à lui donner un sens. Puisque si l'on est éternel, on peut se contenter de vivre le moment présent sans se soucier de ce qu'il y aura après. Avoir un sens dans sa vie n'est utile que lorsque l'on arrive au crépuscule de notre existence et que l'on en fait le bilan. Mais si celle-ci n'a pas de fin, elle n'a pas non plus besoin de finalité.

La croyance en l'après-vie peut cependant donner un sens à la vie terrestre si on y ajoute une notion de karma (donc que nos gestes dans la vie terrestre influencent notre sort après la mort) ou si on la combine avec d'autres croyances obscurantistes telles que des commandements divins par exemple. Ça me semble toutefois un raccourci un peu facile, fait pour ceux qui n'ont pas le courage de s'interroger et de donner réellement un sens à leur vie. Par ailleurs, cela ne donne pas plus de sens à notre existence totale. C'est fuir la question plutôt que d'y répondre.

samedi 28 novembre 2009

Respecter une dernière volonté

A-t-on des devoirs envers une personne défunte?

Tous comme les gens du futur, les gens du passé existent mais dans une autre période. Par conséquent, ils sont capables de bonheur et de souffrance et il est légitime de considérer leurs intérêts. Toutefois, puisque nous nous trouvons en aval dans l'axe temporel, aucun de nos gestes ne peut avoir de répercutions sur eux puisqu'un rapport causal s'effectue toujours du passé vers le futur et jamais dans l'autre sens. Conséquemment, nous ne pouvons, d'aucune façon, influer sur le bonheur ou la souffrance d'un être se trouvant dans une époque antérieure, ce qui fait qu'il est futile de considérer leurs intérêts dans nos actions.

Nous avons par contre des devoirs envers les personnes vivantes dans le présent. Je peux donc prendre un engagement envers l'un de mes contemporains, mais qui s'étendrait jusqu'après sa mort. Le fait de savoir que mes dernières volontés seront respectées après ma mort peut avoir un impact sur mon bonheur pendant ma vie. Ce raisonnement ne m'impose cependant pas de respecter réellement l'engagement que j'avais pris avec une personne défunte, il importe seulement que, de son vivant, la personne croit que sa volonté sera respectée après sa mort. Une fois trépassée, elle n'a aucune manière de savoir si l'on tient notre engagement et ne peut donc aucunement en souffrir. De ce point de vue, on est tacitement libéré de notre engagement envers elle à partir du moment qu'elle n'existe plus. Je pourrais donc mentir à la personne, lui dire que je vais m'occuper d'entretenir la maison ancestrale comme promis, puis décider de la vendre aussitôt que j'en hérite. L'important c'est qu'elle meure en ayant la certitude que sa volonté sera respectée; qu'elle le soit effectivement ou non ne l'affectera pas.

Mais si les vivants réalisent que l'on ne tient pas les engagements que l'on a pris envers les défunts, ils sauront qu'on ne respectera pas non plus leurs dernières volontés quand ils ne seront plus là et souffriront de ça. Le fait de ne pas respecter une dernière volonté causerait donc de la souffrance, non pas à la personne défunte, mais aux vivants qui souffriraient de savoir que ce type d'accord n'est pas respecté. C'est la raison qui me pousse à croire qu'il est éthiquement important de respecter la volonté des morts.

Cela ne doit toutefois pas trop interférer avec les intérêts des vivants. J'ai l'impression que l'on a tendance à surcompenser l'asymétrie inhérente au fait que les défunts ne sont plus là pour renégocier les ententes que l'on a avec eux, en faisant des concessions que l'on ne ferait pas avec les vivants. Dites-vous que si le mort n'est effectivement plus là pour défendre sa cause, il n'est plus là non plus pour souffrir que sa cause ne soit pas défendue.

samedi 21 novembre 2009

En tuer un pour en sauver cinq

En philosophie éthique, on utilise souvent les deux scénarios suivants pour vérifier si une personne est utilitariste et jusqu'à quel point elle l'est.
SCÉNARIO #1
Un groupe de terroristes s'apprête à exécuter six otages. Pour une raison quelconque, ils vous font l'offre suivante : si vous tuez vous-mêmes l'un des otages, ils relâcheront les cinq autres. Mais si vous refusez, les six seront exécutés comme prévu.

La bonne réponse est évidemment de tuer soi-même une personne pour en sauver cinq plutôt que de les laisser tous mourir (y compris celle que vous auriez choisie de tuer). Mais les non-utilitaristes, pour respecter l'impératif catégorique «Tu ne tueras point» ou pour éviter de se salir les mains, préféreront éviter de commettre un meurtre quitte à laisser cinq personnes mourir. L'autre mise en situation est différente :
SCÉNARIO #2
Vous êtes médecins. L'un de vos patients va mourir car il a besoin d'un rein. Un autre va mourir puisqu'il lui faut une greffe de cœur. Un autre a besoin d'un foie, un autre d'un pancréas et un cinquième patient a besoin d'un poumon. C'est alors qu'un homme vient vous voir en consultation. C'est un athlète en pleine forme qui vient vous voir pour un furoncle. Si vous le tuez, vous pourriez donner ses organes à vos cinq autres patients et ainsi sauver cinq vies en n'en sacrifiant qu'une seule.

Dans cette situation, peu de gens répondront qu'ils tueraient l'homme bien portant pour sauver les cinq malades. La différence principale est que, dans ce second scénario, le sacrifié n'appartient pas au même ensemble que les personnes sauvées. Et c'est toute une différence! Même si l'utilitarisme orthodoxe voudrait que l'on privilégie le plus grand nombre, ce n'est pas la position à laquelle j'adhère.

Je considère que mon premier exemple n'opposait pas «tuer une personne» à «laisser mourir six personnes» puisque l'otage que je tuerai mourra peu importe l'alternative. Elle ne fait donc pas partie de ce qui est sous mon pouvoir et ne doit donc pas être considérée dans mon calcul éthique, pas plus que n'importe quel autre événement extérieur n'ayant aucun rapport avec la situation. Le choix est donc «ces cinq personnes meurent» versus «ces cinq personnes ne meurent pas». Avant même de choisir laquelle parmi ces personnes sera ma victime, je puis considérer que m'abstenir d'en tuer une aura des conséquences pires pour tout le monde. Évidemment, la question de savoir lequel des otages je devrais tuer est un dilemme moral en soi, mais considérant que le pire choix est moins pire que l'absence de choix (laissant mourir les six), il faut bien en choisir une.

Le second scénario, pour sa part, est le seul des deux qui pose réellement la question «Peut-on et doit-on sacrifier une vie pour en sauver cinq autres?» Comme je vous le disais précédemment dans ma réflexion sur l'éthique du nombre, la réponse à cette question ne m'apparaît pas comme allant de soi. Je dirais que ça dépend de la situation et qu'il y a plusieurs angles sous lesquels on peut aborder le problème.

Par exemple, on pourrait se dire que compte tenu que la mort n'est rien pour le mort, ce n'est peut-être pas le meurtre en lui-même qui constitue un mal mais les conséquences pour les survivants. Dans cet optique, tuer cinq inconnus sans famille pour sauver une célébrité aimée de tous est éthiquement défendable. On peut aussi regarder ça sous le point de vue des victimes. Si l'athlète préfère ne pas être tué pour donner ses organes à cinq patients, il me semble que c'est un cas d'égoïsme légitime. Mais c'en serait un aussi si l'un des patients décidait de tuer l'athlète pour lui voler l'organe dont il a besoin pour vivre. Ce serait aussi légitime qu'un prédateur qui tue sa proie.

Finalement, on peut aussi aborder cette question par une approche un peu plus axée sur la règle et se demander s'il vaudrait mieux vivre dans une société où il est permis de tuer l'un de nos concitoyens pour survivre ou dans une où cet acte serait prohibé sauf en cas de légitime défense. Imaginons que l'on doive effectuer ce choix sans savoir si l'on aura ou non besoin un jour d'une greffe d'organe. On peut facilement prendre conscience que le climat de stress perpétuel dans une société où les citoyens peuvent être prédateurs les uns des autres est une conséquence néfaste sur le bonheur collectif.

Et l'on pourrait même tenter de produire un scénario intermédiaire :
SCÉNARIO #3
Un groupe de terroristes s'apprête à exécuter six otages. Pour une raison quelconque, ils vous font l'offre suivante : si vous tuez vous-mêmes l'un des otages, ils relâcheront les cinq autres. Mais si vous refusez, ils en tueront cinq au hasard pour n'en épargner qu'un seul.

S'il s'avérait que, dans ce troisième scénario, l'otage que j'aurais choisi d'exécuter serait la même que les terroristes auraient choisi d'épargner en cas d'abstention de ma part, alors on se retrouverait dans un dilemme semblable au scénario #2. Autrement, ça reviendrait au même que le scénario #1. Dans une situation où l'on ne peut pas prédire qui seront les victimes (et qu'elles sont pigées dans un même pool), leur nombre m'apparaît comme étant la variable à considérer.

Bref, la question «Vaut-il mieux tuer cette personne-ci plutôt que ces personnes-là?» est beaucoup plus discutable et moins tranchée que la question «Vaut-il mieux tuer l'une de ces personnes-ci plutôt que toutes ces personnes-ci?» dont la réponse (oui) me semble évidente.

dimanche 8 novembre 2009

Les deux scepticismes

Il existe deux mouvements distincts portant le label de «scepticisme».

Le premier, que l'on appelle communément le scepticisme philosophique, a ses origines dans la Grèce antique. Un de ces plus célèbres partisans est Pyrrhon d'Élis (360-265 av. notre ère). Dans ses formes les plus extrêmes, le scepticisme philosophique nie toute possibilité pour l'humain d'accéder réellement à une connaissance quelconque. En conséquence, cela met toutes les hypothèses à égalité puisque l'on ne peut rien prendre pour acquis et qu'il n'y a rien de plus sûr que quoique ce soit d'autre. Notre niveau de certitude serait à zéro à propos de tout sujet et de toute opinion. Par exemple, on ne pourrait pas plus affirmer que les nuages sont faits de vapeur d'eau que de ouate ou de patates pilées, puisqu'aucune connaissance n'est possible. En pratique, cela ne nous apporte rien puisque si nous n'avons plus aucun critère pour discriminer le faux du vrai et que l'on vît réellement en faisant comme si tout était incertain, on stagne dans une inertie perpétuelle; chaque alternative étant aussi incertaine que tout autre.

Un autre mouvement, le scepticisme scientifique nous permet de sortir de cette impasse en affirmant que même si tout est incertain, il y a des choses qui sont plus certaines que d'autres. Par exemple, si à chaque fois que je mets ma main dans le feu je ressens une douleur, je puis prédire qu'il en sera de même les prochaines fois où je répéterai l'expérience et donc considérer comme «réelle» l'affirmation «le feu ça fait mal». Si tous les corbeaux que je vois sont noirs, je puis établir par induction que tous les corbeaux sont noirs et prendre ce fait pour acquis.

Toutefois le scepticisme scientifique demeure un scepticisme. Ainsi, tout ce qu'il considère comme vrai peut être remis en question. Il suffit d'un seul corbeau blanc pour briser la loi «tous les corbeaux sont noirs». Mais, affirmer gratuitement que cette loi est fausse sans avoir le moindre corbeau blanc pour la contredire et sans tenir compte des millions de corbeaux noirs déjà observés, est une attitude qui va directement à l'encontre du scepticisme scientifique.

Voir aussi : Qu'est-ce que le réel?

Qu'est-ce que l'art?

NOTE : Cette réflexion est une reprise d'une autre que j'ai publiée jadis sur mon ancien blogue, mais celle-ci en est une réédition revue et augmentée qui tient compte des commentaires que l'on m'a laissé sur l'ancienne ou d'autres discussions qui ont eu lieu oralement.

Je me suis demandé ce qu'était l'art. Comment pourrait-on définir ce mot? Qu'est-ce qui est de l'art et qu'est-ce qui n'en est pas?

À la base, je pense que l'on peut définir l'art, dans son sens le plus large, comme étant tout ce qui est le fruit d'une intention. Le mot «art» rejoint donc les autres mots de même famille comme «artefact» et «artificiel». À cela on pourrait ajouter un critère supplémentaire, qui est d'avoir été conçu pour sa forme et non pour sa fonction. Ce second critère rend la définition plus floue.

Disons que tout ce que je fabrique est de l'art, mais qu'un objet puisse être «plus artistique» qu'un autre. Par exemple, en fabriquant un marteau, les choix esthétiques que je peux faire sur la forme de l'objet sont limités par la fonction pratique de l'objet; peu importe la forme que je lui donne, il doit pouvoir servir à clouer. En ce sens on peut dire que fabriquer un marteau c'est moins artistique que de peindre une toile puisque j'ai une moins vaste liberté d'action dans ma créativité. Et, que de peindre une toile en m'inscrivant dans un mouvement artistique préexistant ou en suivant la mode est moins artistique que de fonder son propre mouvement artistique, puisque dans la premier cas notre créativité est contrainte par des normes.

Cela voudrait-il dire que l'idéal de l'art serait une sorte d'indéterminisme de la créativité? Et que, par conséquent, plus l'art est spontané et arbitraire – donc non assujetti à des contraintes – et plus il est artistique? Je serais porté à dire que non. Il me semble que quelque chose de «trop abstrait» n'est plus de l'art puisque si l'artiste «laisse trop aller ses pulsions» dans l'œuvre, elle n'est plus le fruit d'une intention; ce qui était notre premier critère de définition au départ. Ses coups de pinceaux irréfléchis deviennent mécaniques, automatiques et déconnectés de son esprit, vidant l'œuvre de toute signifiance, la rendant aussi peu artistique que n'importe laquelle de ses déjections.

Imaginons que l'on a deux toiles de peinture abstraite. La première a été conçue par un artiste. La seconde était une toile vierge qui s'est retrouvée dans un entrepôt de peinture durant un tremblement de terre et qui a été accidentellement couverte de couleurs diverses lors de la catastrophe. Il est clair que la seconde toile ne peut prétendre au titre d'œuvre d'art puisqu'elle n'a pas été conçue par un artiste mais n'est que l'œuvre de la nature. Conséquemment, si la première des deux toiles n'a pas plus de structure ou de sens que la deuxième, elle ne devrait pas non plus pouvoir être appelée «art» même si elle est l'œuvre d'une personne.

Et c'est à ce stade de ma réflexion que ma conception de l'art s'effondre. Ma définition générique (tout ce qui est le fruit d'une intention) est claire mais ne correspond pas tout à fait à l'usage, tandis que ma définition spécifique (créé pour sa forme plus que pour sa fonction), en plus d'être plus floue, peut contredire la première… ou alors elle se contredit elle-même. En effet, si pour répondre au critère de l'intentionnalité il faille être créé avec une finalité, alors l'objet n'est plus créé pour lui-même mais devient un moyen au même titre que le marteau. Je n'ai donc pas terminé ma réflexion sur ce sujet. Mais peut-être que dans notre univers en continuum, il est vain d'essayer d'établir une distinction aussi nette entre l'œuvre d'art et toute autre création.

Pro-végétarisme mais non-végétarien

J'observe que de plus en plus de gens sont favorables aux idées sous-jacentes à la pratique du végétarisme, telle que l'éthique envers les animaux, et qu'ils incluent de plus en plus dans leur alimentation des aliments «typiquement végétariens», tel que le tofu, sans pour autant adopter eux-mêmes le végétarisme.

Par commodité, appelons «semi-végétarisme» cette position intermédiaire entre le végétarisme strict et celle qui domine dans l'air du temps (viande à tous les repas). Il y a donc de plus en plus de gens qui adhèrent au semi-végétarisme. Certains ne font que manger moins de viande alors que d'autres la suppriment presque totalement de leur alimentation sauf lorsqu'ils sont reçus à souper ou qu'ils mangent dans un restaurant qui n'aurait que peu de plats végétariens au menu. Les semi-végétariens et les végétariens ont tous deux en commun qu'ils tentent de «végétariser» leur alimentation le plus possibles, c'est-à-dire qu'ils vont sciemment et significativement réduire leur consommation de viande pour des raisons éthiques. La seule différence, au fond, c'est que le végétarien strict la réduit un peu plus.

En tant que végétarien, je ne puis qu'être heureux de cette évolution des mœurs. Mon boycott des produits animaux ayant pour but de réduire la demande (afin de réduire le nombre de bêtes dans les élevages intensifs, afin de réduire le taux de souffrance dans l'univers), il m'importe beaucoup plus de savoir que ces idées font leur chemin et que la demande en viande diminue, que de m'assurer qu'aucune chair morte ne touche ma langue. Je suis un utilitariste, ce qui me préoccupe c'est avant tout de réduire la souffrance dans l'univers. C'est pourquoi mieux vaut que dix personnes adoptent le semi-végétarisme plutôt qu'une seule ne devienne végétarienne à temps plein; les premiers réduisant davantage la demande que le second.

Je pense que les idées sur lesquelles se fonde le végétarisme éthique sont, pour la plupart, bien ancrées dans l'esprit des gens. Par exemple, la plupart des gens conviendront que les bêtes peuvent subir de la douleur, qu'elles sont capables de ressentir le bonheur et la souffrance comme nous, et qu'elles éprouvent certaines émotions. Ils s'opposeront à la maltraitance des animaux et parfois même à leur mise à mort.* Dans ce contexte, le semi-végétarisme a de la facilité à percer, et davantage que le végétarisme strict. Il s'harmonise avec les valeurs des gens sans pour autant leur faire franchir la ligne qui leur donnerait l'impression d'avoir un tabou alimentaire et d'être marginaux, et il ne se cogne pas au dogme que «tuer pour la viande c'est toujours correct!».

Comme maintes choses dans notre univers en continuum, la frontière symbolique qui sépare les gens végétariens de ceux qui ne le sont pas biaisent notre perception. Prenez les trois personnages suivants :
  • Pierre a un régime strictement végétarien.
  • Jean mange deux repas de viande par jour.
  • Jacques mange deux repas de viande par semaine.
On se rend compte que même si Jacques n'est pas végétarien, son alimentation est plus proche de celle de Pierre (végétarisme) que de celle de Jean (carnivore). C'est pourquoi je considère que ce que j'appelle le semi-végétarisme est plus proche du végétarisme que de l'alimentation occidentale standard. J'ai focalisé ici sur la quantité de viande ingérée, mais le continuum entre végétarisme et viande se présente aussi sur deux autres axes: la variété des viandes consommées et, surtout, la perception de l'animal. Peut-être que Pierre et Jacques croient tous les deux que les animaux sont capables de souffrir et méritent des droits tandis que Jean les perçoit comme des automates créés par Dieu pour le nourrir. Peut-être que Jacques n'a aucune difficulté à manger des viandes «ordinaires» comme du steak haché ou des poitrines de poulet, mais qu'il a la même répulsion qu'un végétarien face à de la viande chevaline ou de la cervelle de veau.

Ce que je déplore toujours, c'est que même si le végétarisme strict est vu par plusieurs comme un idéal éthique qu'ils ne sauraient atteindre, il continue d'être perçu par la majorité comme un extrémisme irrationnel. Alors que dans les faits, il n'est que l'aboutissement logique du raisonnement qui nous a mené au semi-végétarisme.

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*Sauf que ces mêmes actes bénéficieront d'une absolution inconditionnelle lorsque l'animal est tué pour nous nourrir ou lorsqu'il est maltraité pour que la viande coûte moins cher. C'est deux poids deux mesures

Le législateur cosmique

J'entends parfois l'argument fallacieux suivant :
«Si l'univers a des lois (les lois de la physique), alors il faut que quelqu'un ait écrit ces lois… donc Dieu existe!»

Il faut comprendre que «les lois» de l'univers ne sont pas comme nos lois humaines et n'ont donc pas besoin de législateur. En fait, si quelqu'un a écrit ces lois, c'est nous! En effet, à l'aide de toutes les expériences spécifiques que nous avons de notre univers, nous avons pu en écrire les lois par induction. Cette «législation» n'est qu'une façon de nous représenter l'univers.

Par ailleurs si Dieu existait, il fonctionnerait lui-même selon une «mécanique» quelconque. Si on pouvait l'étudier, on pourrait, par induction, énumérer des «lois» pour modéliser l'ensemble de ses interventions. Mais ces lois, comme celles de l'univers, seraient écrite par l'humain.

Bref, l'argument du «législateur cosmique» comme preuve de l'existence de Dieu m'apparaît bien faible.

jeudi 29 octobre 2009

À propos des grèves

Je trouve personnellement que les grèves sont quelque chose qui ne devraient pas exister dans une société civilisée.

Fondamentalement, le rôle des employés n'est pas d'enrichir leur patron mais bien d'offrir un service à la société. Lorsqu'il y a grève, ce n'est pas que le patronat qui en pâtie, c'est tout ceux qui utilisaient ce service. Selon le secteur dans lequel elle éclate et les moyens de pression employés, une grève peut s'avérer très nuisible pour la société et perturbante pour l'ordre public.

Si, au lieu d'avoir recours à des moyens de pressions futiles, symboliques ou collatéralement dommageables, on avait recours à un arbitrage. Disons, une sorte de procès ou la partie patronale et la partie syndicale devraient toutes deux défendre leurs points respectifs. Le syndicat expliquerait pourquoi il juge que les employés méritent mieux, l'employeur expliquerait pourquoi il ne peut ou ne veut leur donner mieux. Le juge rendrait son verdict, en tenant compte de la justesse et de la faisabilité des exigences de chaque parti, et tous devraient s'y soumettre sans chialer.

Me semble que ça serait moins nuisible pour la société qu'une grève et que ça ferait pas mal plus mature…

Je ne veux pas d'enfants

Je ne suis personnellement pas attiré par l'idée de procréer. Avoir des enfants ne m'intéresse pas.

On me fait souvent le commentaire que je suis «égoïste» de ne pas vouloir d'enfants. J'ai de la difficulté à saisir ce qu'il y a d'égoïste là-dedans. Je ne commets pas de faute envers qui que ce soit puisque si mes enfants potentiels ne viennent jamais au monde, alors ils n'existeront jamais et l'on n'a aucun devoir envers ceux qui n'existeront jamais, même pas celui de les amener à l'existence. Par ailleurs, qui est vraiment égoïste? Quand on pense à ce monde cruel dans lequel on vit et à l'avenir si plein d'incertitudes que l'on a devant nous. Je pourrais, à la limite, soutenir que c'est ceux qui font des enfants qui sont égoïstes, puisqu'ils font passer leur désir égoïste d'avoir des enfants avant le droit de ces enfants de naître dans un monde qui a de l'allure.

Quand c'est moi qui dis ne pas vouloir d'enfants, la réaction des gens n'est pas si pire. Mais quand c'est ma blonde, on dirait que c'est blasphématoire. Dire que même après cinquante ans de féminisme, on en soit encore au stade où la femme est considérée comme un incubateur vivant. En effet, le seul sens à la vie d'une femme qui soit socialement bien vu, c'est de pondre une marmaille (tout en se réalisant professionnellement, bien sûr, parce qu'une femme au foyer est vue comme une aberration de nos jours). Ce n'est pas parce qu'une personne a un utérus qu'elle a nécessairement envie de s'en servir.

Personnellement, je pense que vouloir ou non des enfants est un choix libre basé sur une inclination personnelle, et n'a donc pas à être imposé par des sanctions informelles via une désapprobation générale explicite. Il y en a qui préfère le chocolat, d'autre le beurre de pinottes. Certains aiment les femmes, d'autres aiment les hommes. Il y en a qui aime les chiens, d'autres qui aiment les chats… et d'autres qui aiment les enfants. C'est comme ça.

Un philosophe* disait que notre désir de procréation sublimait notre désir d'immortalité parce qu'on voyait nos enfants comme une extension de nous-mêmes qui nous survivrait. Mais lorsque l'on prend conscience que notre enfant est un être en soi et pas qu'une extension de nous-mêmes, ça tue ce désir. Par ailleurs, comme notre enfant sera davantage élevé par le système d'éducation et les médias que par nous, il a plus de chance de nous être différent dans ses valeurs et ses choix de vie qu'il ne le serait si nous étions ses seuls mentors. Conséquemment, il est encore moins un «double de nous-mêmes», nous n'avons donc plus aucune raison de le considérer comme notre prolongation.

Toutefois peut-être que si le contexte avait été différent, j'aurais aimé avoir des enfants. Le fait que l'on soit dans une société où, pour avoir financièrement les moyens d'élever des enfants, il faille travailler au point que l'on n'ait ni le temps ni l'énergie de les éduquer, enlève un peu son sens à tout ça. Qu'est-ce que ça me donnerait d'engendrer un enfant si c'est pour le parquer dans un chenil pour enfants (les CPE) et le faire élever par de parfaits étrangers (les professeurs)?

Si j'avais une entreprise ou une terre, je concevrais un rejeton pour qu'il en hérite. Je lui enseignerais dès son plus jeune âge ce qu'il doit savoir pour qu'il prenne ma place. S'il finit par choisir de faire autre chose de sa vie, c'est son choix et tant mieux. Mais au moins s'il ne trouve pas de sens à sa vie, il aura eu une «fonction par défaut» de disponible au cas où. En plus de donner un sens personnel à sa vie, ça me donnerait une raison de lui donner la vie.

Bien que je ne désire moi-même pas élever d'enfants, ça ne veut pas dire que je souhaite que l'humanité entière s'arrête à ma mort. Je tiens à ce que les autres fassent des enfants. C'est comme sortir les poubelles : c'est un travail ingrat mais il faut bien que quelqu'un s'en charge. Et comme je ne pense pas avoir les qualifications requises pour ce travail, je laisse la procréation aux autres. Pour ce qui est de laisser quelque chose après ma mort, j'espère – naïvement sans doute – pouvoir transmettre autre chose à la génération suivante qu'un simple bagage génétique.

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*Désolé, j'ai lu ça quelque part mais je n'ai pas réussi à retrouver de quel philosophe il s'agissait.

2012

Je vous ai déjà parlé des livres attrape-nigauds qui nous prédisent la fin du monde en 2012. Je vous ai alors souligné qu'il y avait toujours une fin du monde de prévue dans un avenir rapproché. Je vais maintenant vous expliquer sur quoi se base cette idée qu'il y aurait une fin du monde en 2012.

C'est en fait le calendrier mésoaméricain (des Aztèques et des Mayas) qui est la cause du choix de cette date. D'autres vous diront que plusieurs prophéties convergent vers cette date (comme des quatrains de Nostradamus par exemple) mais, avant le bogue de l'an 2000, on utilisait exactement les mêmes prophéties pour soutenir que le monde s'éteindrait en cette fin de millénaire. Bref, seul le calendrier mésoaméricain fixe la date en décembre 2012.

Les Mésoaméricains utilisaient un calendrier comportant plusieurs cycles distincts (comme notre cycle lunaire des semaines qui est indépendant de notre cycle solaire des années) qui entrent parfois en concordance. Leurs croyances voulaient que plus une conjonction cyclique était rare, plus l'événement qui devait s'y produire serait important. Ainsi, la dernière conjonction telle que celle de décembre 2012 date du mois d'août de l'an 3114 avant notre ère. Selon les traditions mésoaméricaines, il y aurait eu plusieurs «fin du monde» diverses dans l'histoire dont un déluge universel, un ouragan universel et la métamorphose de tous les humains en ouistitis. Mais, à chaque fois, les dieux décidaient de créer le monde à nouveau, de sorte que chaque nouvelle apocalypse était suivit d'une nouvelle genèse.

Je ne comprends pas pourquoi la mythologie mésoaméricaine est soudainement considérée comme une source fiable. Si l'on croit les anciens Aztèques lorsqu'ils nous prédisent une catastrophe globale pour 2012, pourquoi ne les croyons-nous pas lorsqu'ils nous disent qu'il faut sacrifier des gens en leur arrachant le cœur vivant pour que l'univers continue de tourner? Pourquoi, si nous croyons en leur mythe de fin du monde, ne croyons-nous pas en leur mythe de début du monde qui veut que les humains actuels aient été créés à partir du sang d'un dieu mi-serpent mi-oiseau? Il me semble arbitraire de prendre certaines choses d'une mythologie et de rejeter (ou d'ignorer) le reste sans utiliser un critère autre que son feeling, comme le font ceux qui prétendent tirer leur éthique de la religion mais qui n'en ont jamais ouvert le livre.

Par ailleurs, je ne comprends pas comment l'on peut encore prendre au sérieux une prophétie de fin du monde alors que la précédente – celle du bogue de l'an 2000 – ne s'est pas accomplie. Cette expérience ne nous a-t-elle pas appris à nous méfier des prédictions millénaristes de la sorte? S'il y a une «fin du monde» un jour, ce ne sera certainement pas parce que l'un de nos calendriers humains se termine ou arrive à un chiffre rond. On peut s'inquiéter des changements climatiques anthropogéniques, des guerres avec des armes de plus en plus puissantes, des maladies contagieuses, de la mauvaise alimentation des gens et du fait qu'ils ne font plus d'exercice, de l'écart entre les classes sociales, de l'épuisement des ressources ou de la chute d'un météore… mais s'inquiéter du fait qu'un système de mesure du temps inventé par l'humain arrive à un point arbitrairement perçu comme étant spécial, c'est peut-être paniquer pour rien. Non?

mardi 27 octobre 2009

Le rasoir d'Occam

Guillaume d'Occam (1285-1347) fut un philosophe britannique qui apporta à la méthode scientifique le principe de parcimonie qu'il formula des deux manières suivantes :
Pluralitas non est ponenda sine necessitate
(les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité)

Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem
(les entités ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire)

On appelle ce principe «le rasoir d'Occam» car il «rase» les éléments excédentaires dans une théorie. Aujourd'hui, nous connaissons davantage le principe de parcimonie sous cette forme:
«La plus simple des explications est souvent la meilleure.»

Il est nécessaire, je pense, de résoudre l'ambiguïté à propos du sens des termes «simple» et «meilleure» La «plus simple» ne veut pas dire la plus simpliste ou la plus réductionniste. C'est simplement celle qui implique de présumer l'existence du moins grand nombre d'entités; la moins spéculative. Et «la meilleure» ne veut pas dire «la plus vraie» mais «celle qui a raisonnablement le plus de chances d'être vraie parmi les hypothèses connues». Si, par exemple, on a les deux hypothèses suivantes :
  • A- Mes clés ne sont pas où je les ai laissées. Je dois me tromper, j'ai dû les déposer ailleurs par mégarde.
  • B- Mes clés ne sont pas où je les ai laissées. Sans doute que les objets ont une volonté propre et ont la faculté de se déplacer.
L'alternative «A» est incontestablement la plus simple et la plus probable. Mais dans cet autre dilemme :
  • A- Toutes les formes de vie sont apparues spontanément par l'action d'un créateur surnaturel.
  • B- Des formes de vie extrêmement simples apparurent lorsque des composés chimiques se sont assemblés dans la soupe primordiale. Puis, sous l'action conjuguée des mutations aléatoires et de la sélection naturelle, la vie évolua en engendra des êtres plus complexes et variés.
L'alternative «A» est «plus simple» mais pas au sens où on l'entend dans l'expression du rasoir d'Occam. C'est celle qui comporte le moins de phénomènes mais qui transgresse le plus les «lois» du modèle de la réalité que l'on peut établir à partir des données observées. C'est la même chose si l'on revient à l'exemple précédent avec les clés. Même si je suis totalement certain d'avoir laissé mes clés à cet endroit, l'hypothèse que je me trompe demeure plus plausible que celle qui veut que les clés aient une volonté propre et se soient déplacée toutes seules. Car, l'existence de ma faillibilité est un fait avéré tandis que celle de «l'âme des objets» va à l'encontre de tout ce que l'on sait à propos des objets inanimés.

Aussi, plus on accumule de données et moins la meilleure explication est simple. Par exemple, si au départ il est «plus simple» de croire que le Soleil tourne autour de la Terre plutôt que l'inverse (puisque l'on ne sent pas la Terre bouger et que l'on voit le Soleil traverser le ciel dans la journée), ça devient plus compliqué d'expliquer le mouvement des étoiles et la rétrogradation des planètes sans changer de paradigme en faveur de l'héliocentrisme. Ainsi, si l'on tient compte de toutes les observations astronomiques, l'héliocentrisme devient «plus simple» que le géocentrisme.

Également, toute hypothèse qui fait intervenir l'existence du surnaturelle est nécessairement «moins simples» qu'une qui s'en tient à la réalité telle que la science la décrit. Généralement, l'entité surnaturelle proposée comportera plus d'attributs que nécessaire pour combler notre hypothèse; ce n'est donc pas parcimonieux. Ce qui me donne une nouvelle occasion de citer à nouveau cette phrase du philosophe David Hume (1711-1776) :
«nul témoignage ne suffit à établir un miracle, à moins que (...) sa fausseté en fut plus miraculeuse que le fait qu'il tente d'établir»

S'il est possible de trouver, à l'intérieur de l'univers connu, une ou plusieurs causes probables à un phénomène, il n'y a rien qui justifie de rechercher une explication à l'extérieur de notre modèle du monde. Et si l'on ne peut trouver de cause rationnelle pour un phénomène, dire «je ne sais pas» demeure l'alternative la plus sage.

Par ailleurs, quand on associe arbitrairement un phénomène sans explication (objet disparu ou retrouvé à un endroit inhabituel, lumières étranges dans le ciel, guérison soudaine d'une maladie incurable, coïncidence anodine, etc.) à une explication sans phénomène (Dieu, les esprits, les extraterrestres, etc.) c'est souvent moins pour expliquer l'un que pour justifier notre croyance préexistante en l'autre. Cela va à contresens de la démarche scientifique. C'est partir des conclusions pour aller vers les faits, plutôt que d'établir ses conclusions à partir des faits.

J'aimerais clore cette réflexion en reformulant le principe de parcimonie :
«L'explication qui outrepasse le moins la somme des données observées, est celle qui a le plus de chance d'être vraie parmi l'ensemble des explications proposées.»


samedi 17 octobre 2009

Fondements des droits de l'enfant

J'ai réfléchis aux droits des enfants, par rapport aux droits et devoirs qu'ont leurs parents sur eux, ou aux droits et devoirs qu'a la société d'interférer ou non dans la relation parent/enfant. C'est une situation qui m'apparaît délicate et compliquée à analyser. Il y a plusieurs variables qui s'interfèrent mutuellement pour poser les limites et légitimer les droits et devoirs parentaux. Je vais donc essayer de démêler tout ça en partant de la base. En gros, ça se résume en :

  • L'enfant est un être
  • Il manque de lucidité
  • Il n'a pas choisi de venir au monde
  • C'est un adulte potentiel

D'abord, l'enfant est un être. À partir du moment où l'embryon possède un système nerveux actif (mais pas avant), il est légitime de lui accorder minimalement le droit d'être protégé de la souffrance, de rechercher le bonheur et de perpétuer sa propre existence. À cela s'ajoute le fait qu'il a des proches qui tiennent à lui et qui souffriraient s'il lui arrivait quoique ce soit. Donc ça c'est notre point de départ, mais si on s'arrête là, nul n'a de devoir envers l'enfant et celui-ci n'a de compte à rendre à personne. Pourquoi ses parents devraient-ils s'occuper de lui? Pourquoi devrait-il obéir à ses parents? Poursuivons notre réflexion…

Un être doit posséder un minimum de lucidité pour qu'on lui laisse la liberté de faire ses propres choix sans lui imposer de contraintes. Si un individu veut s'adonner à une activité mauvaise pour lui, on doit lui expliquer en quoi cela va lui nuire. Mais si, dans le cas d'un enfant par exemple, il est trop peu lucide pour réaliser qu'il se nuit à lui-même, on se doit de le contraindre. Toutefois, cette coercition sur l'individu ne conserve sa légitimité que si on ne lui impose des choses pour son bien et seulement dans les domaines où il manque de lucidité. Il serait fallacieux d'utiliser cet argument pour asservir totalement un être moins rationnel que nous à notre volonté en suivant exclusivement nos intérêts personnels.

Je ne pense pas que les parents aient un quelconque droit divin/naturel/magique sur leurs enfants. D'un point de vue très terre-à-terre, la génitrice et son rejeton sont deux individus distincts. J'aimerais souligner cependant que l'enfant n'a pas choisi de venir au monde, ce sont ses géniteurs qui ont pris cette décision pour lui. Qu'est-ce que ça implique? D'abord que ceux qui choisissent d'engendrer un nouvel individu s'engagent tacitement à s'assurer que celui-ci ait de bonnes conditions d'existence durant la première partie de sa vie, pendant laquelle il est plus vulnérable et dépendant. Les géniteurs peuvent remplir ce devoir en devenant eux-mêmes les parents de cet enfant ou en veillant à ce qu'il soit adopté par d'autres.

Cela implique aussi le devoir pour la société d'accorder un minimum de lousse aux parents quant à la façon dont ils élèveront leurs enfants. Si on interdit aux parents potentiels de choisir les contingences culturelles (religion, langue, valeurs, etc.) qu'ils transmettront à leurs enfants, ils n'auront plus aucune raison de faire des enfants. Et je ne pense pas que cela lèse d'une quelconque façon la liberté de l'enfant d'être ce qu'il veut, en autant qu'on lui présente le plus tôt possible les autres alternatives et que le parent accorde aussi à son enfant un minimum de lousse dans ses choix de vie.

Autre facteur, c'est que l'enfant est un adulte potentiel. Nous avons des devoirs envers les gens du futur. Conséquemment, en plus d'avoir des devoirs envers cet enfant, nous en avons aussi envers l'adulte qu'il deviendra. Les droits de cet adulte du futur viennent limiter ceux de l'enfant qu'il est, de ses parents et de la société en général. L'enfant «appartient» à l'adulte qu'il sera, c'est pourquoi il faut le prémunir contre ses propres choix irrationnels et préserver son intégrité, même contre son gré, afin qu'il ait toutes ses facultés une fois adulte pour disposer de lui-même. C'est sur ce point, je pense, que le statut de l'enfant diffère de celui d'un adulte qui aurait une déficience cérébrale le rendant intellectuellement équivalent à un enfant.

Par exemple, imaginons qu'un enfant veuille se faire tatouer un dessin sobre à un endroit peu visible. On ne pourrait pas invoquer le critère du manque de lucidité puisque son choix ne lui nuit pas et n'est pas irrationnel. On pourrait même invoquer son droit de disposer de lui-même. Mais, paradoxalement, je considère que c'est justement notre droit de disposer de nous-mêmes, en tant qu'adulte, qui justifie cette contrainte de la liberté de l'enfant. J'ai pris le tatouage pour exemple mais j'aurais pu prendre le perçage (que l'on impose aux fillettes), la consommation d'une substance particulièrement dommageable pour la santé (ex. : drogues) ou certaines mutilations religieuses (circoncision et excision). Tout cela devrait être réservé aux adultes.

Je conclus en vous rappelant qu'il est parfaitement arbitraire de fixer un âge donné (18 ans) à partir duquel on confère à l'individu tous les droits et responsabilité d'un être libre et lucide mais en deçà duquel il est sous la tutelle de quelqu'un d'autre. Évidemment, la sagesse voudrait que l'on fasse plutôt passer des tests psychométriques à chaque individu pour mesurer la progression de sa maturité et lui donner les droits qu'il mérite et les devoirs qu'il peut assumer. Toutefois, en donnant progressivement les droits d'adultes à plusieurs âges (par exemple, on peut conduire dès 16 ans) et en adoptant des mécanismes pour reclasser ponctuellement les individus d'exceptions (mineurs émancipés et adultes sous tutelle) on ajuste l'imperfection inhérente à une telle généralité tout en nous épargnant la tâche laborieuse d'évaluer chaque individu.

vendredi 16 octobre 2009

L'équipe des gentils

Dans les histoires fictives, principalement dans le style fantastique, il y a souvent une dichotomie simpliste entre le bien et le mal. On a les gentils d'un côté et leurs adversaires sont les méchants.* Ce genre d'éthiques non-utilitaristes me semble trop dominer notre littérature et notre cinéma. Je reproche plusieurs choses à cette vision manichéenne du bien et du mal.

D'abord, on s'attarde trop à la «valeur» de l'agent (éthique «vertualiste») plutôt qu'à ses actions (éthiques déontologiques) ou aux conséquences de ses actions (éthiques conséquentialistes telles que l'utilitarisme que je défends ici). Dans la triade sujet/action/objet, il me semble que l'éthique doit rechercher avant tout des conséquences positives pour l'objet (celui qui subit l'action); en considérant bien sûr qu'il y a des objets collatéraux, que le sujet est également objet, que son pouvoir se limite à l'action et non à l'objet lui-même, etc. Mais bref, les éthiques de la vertu, telle que celle-ci, me semble trop centrée sur l'agent au point qu'elles m'apparaissent égoïstes : le but n'est plus d'éviter de causer de la souffrance mais d'éviter de se souiller soi-même.

Autre reproche, c'est que le bien et le mal deviennent pratiquement comme des patries ou des attributs intrinsèques à l'être. Si je suis un démon, un soldat nazi, ou disciple de Voldemort, je suis un méchant par nature. Tandis que si je suis du côté des gentils, je demeure un gentil quoique je fasse. Ça rejoint un peu ce que je disais précédemment à propos de notre tendance à diaboliser les criminels, comme si on essayait de se convaincre qu'ils n'avaient pas la même nature que nous. Et ça me rappelle ce que m'avaient répondu deux fondamentalistes chrétiens différents (un pentecôtiste et une baptiste) lorsque je leur avais demandé : «Qui mérite le plus d'entrer au Paradis entre un athée qui serait juste et charitable envers tous et un tueur en série qui vénère Jésus-Christ?» Les deux répondants (d'accord, mon échantillon est petit...) avaient été catégoriques sur le fait que le croyant allait au Paradis quelque soit ses actes (puisque Dieu lui pardonne) tandis que l'athée allait systématiquement en Enfer (puisque nier l'existence de Dieu est le pire de tous les crimes). Le but n'est ni d'éviter de faire souffrir, ni de faire son devoir, mais d'être dans la bonne équipe!

La conséquence de tout ça, d'après mon impression, c'est que lorsque l'on se croit être dans «le camp des gentils», on devient davantage enclin à commettre les gestes les plus abominables, surtout envers ceux que l’on croit être dans «le camp des méchants». Tout le mal que l'on peut faire au méchant, il le mérite, puisqu'il est méchant. Tout le plaisir que l'on peut obtenir à ses dépens, on le mérite puisque l'on est gentil. Ainsi, les pires atrocités ont souvent été commises au nom des meilleurs idéaux.

Diffuser une éthique de cette sorte est peut-être utile au sein d'un corps militaire – si l'on veut que nos soldats tuent leurs adversaires sans remords – mais me semble dommageable dans une société civile. C'est encourager l'intolérance envers la différence et ça nous empêche de remettre en question la valeur de nos actes.

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*Parfois les histoires fantastiques adopte une variante à peine plus complexe que je trouve pourtant très intéressante: Ils divisent les méchants en deux factions rivales, l'une prônant l'ordre et l'autre prônant le chaos. Alors que le bien et le mal sont des patries auxquelles les personnages ne choisissent pas d'appartenir, les méchants choisissent entre l'ordre et le chaos. Le pattern général, c'est d'abord un équilibre initial entre le bien et le mal qui sont en conflit depuis toujours, ensuite une petite faction du mal devient le chaos et se retourne contre le reste des méchants. Les chaotiques prennent la place des méchants ordonnés ou alors ces derniers s'allient avec les gentils pour rétablir l'ordre initial en ouvrant la porte vers une paix relative entre les deux peuples.

mardi 13 octobre 2009

Qu'est-ce que l'altruisme?

J'ai réfléchi sur le concept d'altruisme et je me suis dit, qu'au fond, tout geste altruiste était, d'une façon ou d'une autre, bénéfique pour celui qui le posait et que par conséquent, il y avait nécessairement une dose d'égoïsme dans l'altruisme.

Par exemple, on peut facilement se représenter une situation où un individu semble agir pour le bien d'autrui, mais où son action était purement intéressée, faite dans le but de se mettre en valeur ou de s'attirer les faveurs d'autrui en le faisant se sentir redevable. Ce serait manifestement un cas de faux altruisme, un geste de manipulation. Mais ce n'est pas seulement à ce genre de situation que je pensais.

On peut également concevoir une situation où une personne agit de manière altruiste uniquement parce qu'elle aime ressentir de la reconnaissance, même si cette dernière ne s'accompagne d'aucune récompense matérielle ni de rien de plus qu'un simple «merci». La personne s'intéressera aux besoins des autres plus pour recevoir ces remerciements et cette reconnaissance, que pour réellement faire du bien aux autres.

Je vous ai déjà parlé, dans ma réflexion sur l'empathie, que l'on pouvait également avoir des comportements altruistes motivés viscéralement par les signaux de souffrance que nous envoie autrui. Par exemple, je pourrais secourir un blessé parce que ses cris de douleurs me font mal ou donner un cadeau à un enfant parce que son sourire me fait du bien. J'agis donc non pas pour le bonheur ou la souffrance d'autrui, mais pour altérer ses signaux corporels qui m'affecte par empathie.

Et même dans un cas qui semble totalement désintéressé. Imaginons que je ne tire ni récompense, ni reconnaissance et que la personne ne manifeste aucun signe perceptible de son bonheur ou de sa souffrance, mais que je sache que mon geste lui procurera du bonheur. En quelque part, si je pose cet acte pour rendre cette personne heureuse, c'est que le bonheur de cette personne m'importe; mon bonheur dépend du sien. Je suis heureux de la savoir heureuse. C'est donc, finalement, pour me rendre heureux que je la rends heureuse.

On pourrait peut-être mettre la frontière qui sépare l'altruisme de l'égoïsme au point où les bénéfices pour l'agent sont égaux à ceux d'autrui, mais je ne pense pas qu'une telle dichotomie soit pertinente. Ma conclusion à cette petite réflexion, c'est qu'il n'est pas nécessaire, pour mesurer la valeur d'un comportement altruiste, d'en soustraire les bénéfices pour l'agent. On ne devrait pas se soucier de la «pureté» de notre altruisme, du fait qu'il soit motivé par une empathie irrationnelle ou qu'il soit programmé par la sélection naturelle. L'important, finalement, c'est d'être une source de bonheur dans l'univers. Et si l'on en tire soi-même du bonheur, tant mieux!

samedi 26 septembre 2009

Mon athéisme

J'ai cessé de croire à Dieu et au p'tit Jésus vers la fin de ma dixième année d'existence. À l'époque, je m'intéressais beaucoup aux sciences. Mais ce qui m'a fait me libérer des sophismes de la religion n'est pas seulement la compétition dans mon esprit entre la cosmologie chrétienne et celle de la science, c'est surtout ma prise de conscience de la pluralité des cultes. En effet, les divinités des panthéons hindou et amérindiens m'apparaissaient particulièrement grotesques, mais j'ai réalisé que pour ceux qui y croyaient, cela était tout aussi sensé que le christianisme pour moi, et que c'était ma religion qui devait leur apparaître absurde. Finalement, un dieu avec une tête d'éléphant n'est pas plus ridicule qu'un ange avec des ailes d'oiseaux. Par relativisme culturel, j'ai donc rejeté en bloc toutes les croyances n'ayant rien pour démontrer qu'elles sont plus vraies que leurs rivales. La science m'apparut alors comme la seule conception de l'univers qui avait de quoi prouver ses dires.

Mon rejet de la religion s'est fait juste avant le rite de confirmation (que j'ai tout de même effectuée pour faire plaisir à la famille) en partie à cause du rite en question. En effet, l'église nous donnait un cour préparatoire pour le rituel et nous transmettait davantage de connaissances sur la foi chrétienne (pour que l'on puisse savoir ce en quoi on allait confirmer notre croyance). J'y ai appris, entre autres, que l'histoire d'Adam et Ève ainsi que celle de l'arche de Noé nous venaient de la Bible donc qu'il fallait y croire, alors que jusque là je les pensais de la même source que Cendrillon ou que le Petit Chaperon Rouge. Je me rappelle que la madame me disait : «Dieu a alors mis l'arc-en-ciel dans les cieux pour nous dire qu'il ne fera plus jamais de déluge» et moi, du haut de mes dix ans, de lui répondre : «Écoutez, l'arc-en-ciel est formé par la lumière du Soleil qui traverse les goutes de pluie...» Bref, nous ne vivions pas dans le même monde.

J'ai tout de même eu depuis certaines phases plutôt «ésotériques» où j'adoptais certaines croyances irrationnelles, mais je suis toujours demeuré athée. L'athéisme se définit par la non-croyance en l'existence d'un dieu, mais pas nécessairement en d'autres entités surnaturelles. J'ai continué de réfléchir au concept de Dieu mais il ne m'en apparut qu'encore plus improbable. Ce fut seulement vers la fin de mon cégep et le début de mon université que j'ai cessé de croire à l'âme (et, donc, à la vie après la mort) et au surnaturel en général pour adopter pleinement le scepticisme scientifique.

À ceux qui s'apprêteraient à m'en faire le commentaire, j'ai déjà expliqué précédemment comment l'on pouvait donner un sens à sa vie, ne plus craindre la mort et avoir une éthique fondée et parfaitement solide sans croire à Dieu.

Certains me trouve trop catégorique sur la question de Dieu. En fait, ce n'est pas que je crois en l'inexistence de Dieu, mais que je ne crois pas en son existence. La nuance est justement qu'une chose à laquelle on ne croit pas pourrait être vraie, mais qu'en l'absence de preuve il est plus sage de prendre pour acquis qu'elle ne l'est pas, comme je l'expliquais ici. Je pourrais essayer d'avoir l'air moins sûr de mon affaire et dire comme disait le physicien Albert Einstein (1879-1955) lorsqu'on lui posait la question :
«Dites-moi d'abord ce que vous entendez pas "Dieu" et je vous direz si j'y crois.»
Sauf que moi, j'ai déjà entendue plusieurs définitions du mot «Dieu» et même si elles se contredisent mutuellement, elles désignent toutes quelque chose à quoi je ne crois pas ou alors elles sont tellement floues qu'elles m'apparaissent vides de sens et d'intérêts. J'ai donc peu de chances de me tromper si je dis ne pas croire à ce que mon interlocuteur appelle «Dieu».

Pour conclure cette réflexion, j'aimerais vous recommander la lecture du livre Pour en finir avec Dieu de Richard Dawkins (né en 1941). Le titre semblera agressif pour certains (il vient en fait du traducteur) mais le contenu est très sage et reflète bien mes opinions sur le sujet.

lundi 21 septembre 2009

Réforme de la langue écrite

Je considère que la parole est au service de la pensée et l'écriture au service de la parole. Précédemment, je vous ai expliqué pourquoi je considérais que notre langue écrite devrait évoluer pour s'adapter à la langue orale. En fait, ce qu'il faut c'est moderniser et démocratiser la langue. Je vais, ici, vous décrire plus explicitement quel genre de modifications j'aimerais voir apparaître dans notre langue écrite :
  • D'abord j'aimerais que la langue soit davantage basée sur la prononciation. Si l'on examine cette page de Wikipédia, on se rend compte que plusieurs sons peuvent s'écrire jusqu'à 50 façon différentes, ce qui me semble exagéré. On devrait essayer de réduire le tout pour ne donner que deux ou trois – idéalement, une seule – graphies pour chaque phonème. On pourrait faire comme l'espagnol par exemple, où chaque syllabe n'a qu'une seule graphie. Ainsi, même si le son [k] peut s'écrire soit «qu» ou «c», le son [ke] s'écrit toujours «que» et le son [ka], «ca».
  • Je propose également la suppression des déclinaisons sans incidences sur la prononciation. Ou, au moins, de les rendre moins irrégulières. Que la règle du pluriel soit «Ajouter un 's' sauf pour les finales en '-u' qui prennent un 'x' sauf les '-ou' qui prennent un 's' sauf ''bijou, caillou, etc.'' qui prennent un 'x'» m'apparait inutilement compliqué compte tenu que toutes ces lettres sont muettes. Et je ne vous parle même pas de l'accord du participe passé avec l'auxiliaire avoir.
  • Je voudrais aussi que tous les mots utilisés à l'oral aient une forme écrite standardisée. Les expressions québécoise par exemple. Il m'arrive souvent d'entendre des régionalismes que je ne connais pas et, malheureusement, le dictionnaire ne peut pas m'aider à trouver leur sens. Si l'on y incluait les expressions vernaculaires (en y précisant toutefois leur niveau de langage) cela nous aiderait à les comprendre. La syntaxe également devrait pouvoir se mouler sur celle de l'oral. Ainsi, si je veux écrire un dialogue entre deux personnages du Québec rural, je pourrais avoir un cadre de référence au lieu d'être dans le flou.
  • Les mots d'emprunts devraient s'écrire comme ils se prononcent au lieu de conserver leur orthographe d'origine. Cela peut créer de la confusion au niveau de la prononciation. Par exemple, le mot «soya» se prononce toujours ainsi, même quand on l'écrit «soja». Pourtant, je l'entends souvent prononcé comme si le 'j' était un 'j' français. Cela contribue, en plus, à rajouter des exceptions supplémentaires à notre langue (comme que le 'w' se prononce 'v' dans le mot ''wagon'') qui en est déjà suffisamment gréée. Seuls les noms propres devraient conserver leur graphie natale.
  • Il faudrait également que chaque «niche lexicale» soit occupée. C'est-à-dire que chaque nom puisse être verbé, que chaque adjectif puisse être adverbisé, etc. Par exemple, si je peux dire «rendre X» il devrait avoir un verbe «X-iser», si je peux dire «de manière Y» je devrais pouvoir dire «Y-ement» et ainsi de suite. En écrivant ce blog avec mon correcteur automatique, j'ai réalisé que beaucoup de ces mots n'existaient pas. Par exemple, quand j'écris le mot «éthiquement», on me le souligne en rouge parce qu'il n'existe pas. Pourtant, on comprend tous intuitivement qu'il signifie «de manière éthique».
  • Les mots désignant des êtres sexués devraient pouvoir s'accorder selon le genre du sexe en question. C'est-à-dire que l'on devrait pouvoir dire «une professeur» pour désigner une femme professeure et «une orignal» pour désigner une femelle orignal. À ce niveau-là, on n'a pas vraiment de problème au Québec. C'est plutôt en France que cette féminisation des titres a du mal à percer.
  • Les mots désignant des objets asexués dont le genre est souvent ambigu pour les locuteurs natifs (ex. : autobus, ambulance, trampoline, termite, tentacule, trombone) devraient tous bénéficier d'un genre libre, au choix de celui qui écrit (mais qui devrait rester constant dans un même texte).
Voilà, ce ne sont donc que quelques suggestions. Je vois de nombreux avantages à une telle réforme :
  • Les gens feraient beaucoup moins de fautes.
  • Les écoliers, au lieu de passer onze ans de leur vie à apprendre le français, pourraient facilement l'apprendre en trois ou quatre ans. Cela libérerait de l'espace dans l'horaire pour que les jeunes puissent apprendre autre chose, ou aient plus de temps libres.
  • Les nouveaux arrivants ne connaissant pas notre langue pourraient plus facilement l'apprendre et donc mieux s'intégrer. On éviterait donc ainsi que les allophones ne se tournent systématiquement vers l'anglais.
  • Les enfants ayant une faible intelligence linguistique pourraient tout de même apprendre à lire. Ils ne seraient donc pas ralentis dans les autres matières par leurs problèmes en français (puisqu'ils n'éprouveraient plus de difficultés à lire les consignes et écrire leurs réponses).
  • Si la langue est plus concise étant donné la suppression des lettres muettes, des consonnes doubles et des formes allongées («eau» au lieu de «o»), on économiserait une quantité faramineuse d'encre et de papier.

Comme pour ma réforme du calendrier, le principal désavantage serait les coûts (en argent et en efforts) reliés à la transition vers cette orthographe. Pour le reste, il me semblerait avantageux de faire évoluer notre langue écrite dans cette direction.

Œil pour œil

Ma conception de la justice, j'en ai bien peur, diffère quelque peu de celle qui domine dans l'air du temps. Lorsque survient un mal, on se demande aussitôt «Qui est le coupable?» puis «Comment va-t-on le punir?». Il semble y avoir une croyance sous-jacente, comme quoi quelqu'un qui fait du mal «mérite» d'en subir aussi; comme pour «rétablir l'équilibre».

Je me dégage personnellement de ces conceptions de la justice trop peu éloignées du code d'Hammourabi ou de la loi du Talion : «Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, vésicule biliaire pour vésicule biliaire, etc.»* Cela m'apparait comme une institutionnalisation de la vengeance. Je me situe dans un tout autre paradigme. Pour moi, lorsque survient un mal, on devrait plutôt se demander «Quelle en est la source?» puis «Comment peut-on éviter que cela ne se reproduise?».

On ne peut pas altérer le passé. Ce qui est fait est fait. Tuer un meurtrier ne ressuscitera pas ses victimes. Le but de la sanction ne doit donc pas être de «punir le coupable» (faire du mal à celui qui a fait du mal) mais d'éviter une récidive de sa part et de dissuader les criminels potentiels de l'imiter. Infliger de la souffrance à un criminel ne se justifie donc que si c'est pour prévenir une souffrance potentiel. Autrement, on ne fait que créer davantage de souffrance dans l'univers. Le rôle de la sanction est donc de prévenir (les futurs crimes potentiels) et non de guérir (ou venger les crimes passés).

En tant qu'utilitariste, je me focalise sur les conséquences plutôt que sur les intentions. Ainsi, tuer par accident est «aussi pire» que tuer volontairement; dans le sens que les deux actions seront aussi graves pour les victimes. C'est la conséquence que l'on tente d'éviter plus que les mauvaises intentions de l'agent. Toutefois, cela ne veut pas dire que celui qui a tué par accident est «aussi pire» comme personne que celui qui a tué volontairement (en admettant que l'on puisse juger aussi facilement de la valeur d'une personne). De toute façon, mon jugement se porte uniquement sur les conséquences et non sur les gens. Mais si ce que l'on cherche à savoir, en «jugeant» quelqu'un, c'est s'il est davantage susceptible de faire du mal ou de faire du bien, alors il est tout à fait légitime d'enfermer celui qui a tué volontairement (puisqu'il risque de recommencer), de sanctionner celui qui a tué par négligence (pour qu'il soit plus vigilant à l'avenir) et de laisser aller celui qui a tué de manière purement accidentelle (puisqu'il n'a pas plus de chance de tuer que n'importe qui d'autre). Le système judiciaire demeure donc pertinent tout comme le fait de nous demander si la personne a agit par malveillance.

Dans cette perspective, la prison devrait davantage ressembler à un centre de réhabilitation plutôt qu'à une cage à criminels. Sa vocation n'est pas seulement d'isoler des individus afin d'éviter qu'ils ne nuisent à la population, mais de transformer ces individus délinquants en citoyens modèles. C'est donc une thérapie que l'on devrait donner aux condamnés.

S'il est évident qu'un tueur en série doit être incarcéré pour éviter qu'il ne fasse d'autres victimes, qu'en est-il de l'homme qui a tué son frère parce qu'il couchait avec sa femme? Ce n'est pas quelqu'un qui tuait régulièrement, ce meurtre fut ponctuel, dicté par une situation précise. Il n'avait qu'une cible sur sa liste et n'a donc plus personne à tuer. Est-il inoffensif pour autant? Je ne pense pas. S'il a pu considérer le meurtre comme une solution dans ce cas précis, il pourrait refaire le même choix à nouveau. Toutefois, s'il l'on ne découvrait ce meurtre que vingt ans plus tard et que l'assassin n'avait commis aucun autre acte criminel depuis, je pense que l'on pourrait se contenter de lui faire subir une évaluation psychologique puis le laisser aller puisqu'il s'est, en quelque sorte, autoréhabilité.

Il existe par contre une soif de vengeance chez les victimes que l'on ne peut ignorer. Quand elles ont l'impression que le coupable «s'en sort trop bien», les victimes peuvent devenir haineuses et potentiellement dangereuses. Il y a quelque chose de foncièrement injuste dans le fait qu'une personne qui a mal agît souffre moins que son innocente victime. Évidemment, ce n'est pas un sentiment très noble que de souhaiter du malheur à celui qui nous en a causé, mais c'est humain. Conséquemment, il faudrait que la sanction demeure, malgré tout, quelque chose qui soit considéré comme désagréable et honteux par la société.

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*La Bible, Deutéronome 19:19-19:21.