dimanche 29 mars 2009

Nous est un autre

Le mot nous – ou son équivalent on – est un pronom personnel désignant normalement la première personne du pluriel. Ça devrait donc vouloir dire «moi et toi», «moi et eux» ou «moi, toi et eux». Mais je constate beaucoup d'usage du nous qui exclue souvent le moi et même le toi; et je ne parle pas du nous impersonnel. En plus, le nous comprend parfois un nombre de personnes tellement élevé qu'il me semble absurde de l'utiliser.

La raison de cette aberration est que l'individu va s'associer à une catégorie ou à une identité collective dont il parlera au nous. Il s'en suivra que lorsqu'il utilisera un verbe dont le sujet serait un nombre pluriel de membres de son groupe mis en interaction avec des non-membres, il fera usage du «nous» même si le «eux» aurait été logiquement plus approprié. C'est le nous identitaire. Par exemple, il pourra dire «Nous, les Québécois…» même si ce groupe est majoritairement composé de gens qui lui sont totalement inconnus. Il pourra également dire «On a gagné la game de hockey hier!» au lieu de dire «L'équipe sportive pour laquelle je prends a gagné!» C'est intéressant comme usage, car ni lui ni son interlocuteur ne se trouvait sur la glace, et il emploie quand même le nous.

En plus de s'étendre trop loin, la frontière du nous sera parfois tracée d'une façon purement contingente et arbitraire, tout en étant floue et changeante. Par exemple, en disant «Nous, les Québécois…», une personne parlera tantôt des francophones résidants au Québec, tantôt de ceux ayant une ascendance française, tantôt de ces derniers en incluant les «immigrants intégrés» et tantôt de tous les habitants de la province sans distinction aucune. Tout cela, dans un même discours en sautant aléatoirement d'une définition à l'autre.

Il y a également le nous historique. Dans un cours d'histoire du secondaire, il est possible d'entendre l'enseignant dire : «Les Anglais nous ont battu sur les plaines d'Abraham.» Le «nous» devrait désigner normalement le professeur et ses élèves. Il est toutefois évident qu'aucun d'entre eux ne se trouvaient sur les plaines en 1759. C'est donc un nous identitaire qui s'étend dans la dimension temps.

Personnellement, j'essaie d'éviter tous ces abus de nous. Si ce pronom donne l'illusion d'être inclusif, il sert plus souvent qu'autrement à se distinguer d'un eux et donc d'exclure. Il m'apparaît être une source de discrimination arbitraire et de biais cognitif. J'ai trop souvent entendu des «Nous, les Québécois…» et des «Nous autres, les gars...» auxquels je ne m'identifiaient pas et ça m'agace quand quelqu'un prétend parler en mon nom sans me consulter. Utilisons donc ce pronom avec parcimonie et sagesse.

Mon scientisme

On utilise souvent de façon péjorative l'expression «scientisme»; c'est souvent employé par les obscurantistes religieux pour désigner quelqu'un qui, selon eux «croit trop» à la science (ou pas assez à leur foi). Personnellement, je suis fier de me déclarer scientiste, car la conception du monde à laquelle j'adhère est celle de la science et elle seule. Je pense que la méthode scientifique est le meilleur outil dont dispose l'humanité pour accroître sa compréhension d'elle-même et celle de son environnement. Bien sûr, la science peut se tromper, mais elle n'est garante d'aucune certitude* et, sans m'apparaître irréfutable, l'est d'autant moins que toute autre source de connaissances.

On pourrait résumer le crédo de ma «foi en la science» en quatre points :

  • Toute donnée obtenue sur la base d'une intuition ou d'une «révélation» est considérée comme moins fiable qu'une vérité scientifique.
  • On doit garder un esprit critique même face à ce que l'on prend pour acquis et être ouvert à de nouvelles données ou à de nouveaux raisonnements.
  • Notre quête de sens ne doit pas interférer avec notre quête de vérité. Pour cela, on doit apprendre à donner à notre vie un sens ne faisant pas entrave au progrès de la science, ainsi qu'à nous émerveiller devant les faits scientifiques comme nous le faisons devant les mythes.
  • Ce que l'on doit essayer d'atteindre n'est pas une asymptotique vérité «absolue» mais simplement une vérité scientifique. C'est-à-dire, un modèle de représentation de la réalité nous permettant d'établir des prédictions.

J'apporterai cependant un bémol à mon adhésion au scientisme. La seule chose que je mettrais «au-dessus de la science» serait l'éthique. Car je ne pense pas qu'acquérir de nouvelles connaissances puissent se faire à tout prix, le coût éthique est à considérer. Toutefois, l'éthique à laquelle j'adhère est un utilitarisme qui tente d'être aussi «scientifique» que possible. Autant la science nous permet de trouver de nouveaux moyens d'agir éthiquement, elle nous permet également de mieux définir notre éthique à la lumière des nouvelles connaissances qu'elle apporte. Comme la médecine est une science appliquée qui recherche des moyens de guérir un patient, l'éthique est peut-être une forme de science appliquée ayant pour but d'accroître le bonheur dans l'univers.

Pour conclure, si l'on dit qu'une religion a un volet «conception du monde», un volet «morale» et un volet «appartenance à un groupe», eh bien on pourrait alors dire que ma «religion» personnelle a la science comme conception du monde et l'utilitarisme comme morale… et tant pis pour le troisième volet.

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* Les plus sûres des faits scientifiques (héliocentrisme, sélection naturelle, etc.) sont appelés «théories» alors que les moindres détails théologiques des religions (immaculée conception, transsubstantiation, etc.) sont des dogmes. C'est dire comme la science n'est pas dogmatique et prône sa propre remise en question perpétuelle.

Les mythes infalsifiables

Cette réflexion fait suite à ce que je vous ai déjà dit en vous présentant l'allégorie de la licorne invisible.

Il y a des créatures mythiques dont on peut dire que l'inexistence est pratiquement démontrée. Par exemple, comme les zoologistes n'ont pas répertorié de licornes et de centaures nul-part sur Terre, et comme les médecins n'ont enregistré aucun cas de lycanthropie ou de vampirisme, on peut dire que toutes ces créatures sont de la pure fiction. L'humain a une connaissance suffisamment élevée de son environnement pour savoir que ces êtres ne s'y trouvent pas.

Qu'en est-il des dieux, des anges, des ovnis et des fantômes? Ces créatures ont, dans leurs attributs, des facultés leur permettant d'échapper à la perception humaine, de sorte que beaucoup considèrent leur existence comme «possible» ou «incertaine» et trouvent qu'il serait «présomptueux» d'affirmer qu'elles n'existent pas. En fait, on pourrait dire la même chose des centaures ou d'autres monstres. Les archéologues et les paléontologues n'ont pas retourné chaque centimètre carré de la planète, peut-être découvriront-ils un jour les reste d'un animal mi-homme mi-cheval? (J'en doute...)

Si j'affirmais garder une licorne dans ma cours, il serait aisé de démontrer qu'elle n'existe pas. Il suffirait de faire deux ou trois fois le tour du terrain, de regarder en-dessous du balcon et dans le cabanon, pour confirmer, hors de tout doute raisonnable, qu'il n'y a aucune licorne dans ma cours. Mais si je vous dis que j'héberge un xuümp'aljõpht qui est un être totalement imperceptible, vous ne pourriez pas démontrer que c'est faux par l'expérience. Vous pourriez toutefois vous dire que, comme je viens d'inventer cette créature, il est pratiquement impossible qu'elle existe vraiment. Si l'origine du concept est peu fiable, il est fort à parier qu'il soit faux. Dire qu'une créature a des attributs qui lui permettent d'échapper à nos sens, ne suffit pas pour démontrer son existence, ni même pour en faire une probabilité.

Les fantômes et les démons viennent du même folklore que les vampires et les loups-garous, on leur a simplement donné des attributs différents les rendant plus difficile à trouver. Si ce folklore se trompe en prétendant qu'il y a des vampires, il y a toutes les chances pour qu'il soit également dans l'erreur en affirmant l'existence des fantômes. Si je peux, en étudiant l'histoire des mythes, voir comment celui-ci s'est développé à partir de boiteuses spéculations métaphysique de l'Antiquité ancienne vers une complexe mythologie jusqu'au Moyen-Âge, je puis encore plus assurément conclure à l'inexistence de la créature.

J'aimerais clore cette petite réflexion avec cette citation du philosophe David Hume (1711-1776) :
(…) nul témoignage ne suffit à établir un miracle, à moins que le témoignage ne soit de telle sorte, que la fausseté en fut plus miraculeuse que le fait qu'il tente d'établir; (…)

Qui peut être considérée comme une subdivision de la loi du rasoir d'Occam : «la plus simples des explications est souvent la meilleure»

Mon végétarisme

Mes réflexions m'ont éventuellement amené à adopter le végétarisme. Cette pratique alimentaire était la conséquence logique de ma conception du monde et m'y soustraire m'aurait mis en contradiction avec moi-même. En gros, on peut résumer mon raisonnement en trois points:

J'ai moins besoin de manger le porc que le porc n'a besoin de ne pas être mangé. Pour lui, cela signifierait la mort alors que, pour moi, c'est simplement la perte d'une saveur particulière. Donc, selon une éthique utilitariste, il ne serait pas légitime que je tue ce porc pour le manger si je puis bien vivre en m'en passant. Il y a plus de bonheur dans l'univers si ce porc ne meure pas pour me servir de repas. Les choses seraient différentes si j'étais un animal carnivore. Le loup ne peut survivre sans viande. Même si ce serait théoriquement possible de lui concevoir des substituts, le loup a la capacité de se pourvoir en viande mais pas celle de cultiver un champ de soya. Bref, son besoin «manger un cerf» est nécessaire à sa survie et arrive donc à égalité avec le besoin «ne pas être mangé» du cerf. Dans une telle situation, son égoïsme est légitime.

Selon ce raisonnement, il serait contraire à l'éthique, si je croiserais un porc sur le trottoir, de l'abattre dans le seul but de me délecter de sa chair. Mais qu'en est-il de l'action d'acheter de la viande à l'épicerie? L'animal est déjà mort. Même avec le bouche-à-bouche ou un défibrillateur, je doute que je puisse ramener à la vie un paquet de six McCroquettes. Toutefois, bien qu'acheter la viande d'une bête morte ne lui porte pas préjudice, cela est nuisible pour celle qui devra mourir pour prendre sa place sur la tablette. Ce n'est donc pas le geste de consommer la viande qui est contre l'éthique, c'est le fait d'encourager une entreprise à continuer d'élever et de tuer des animaux pour la consommation. C'est la demande que je crée qui fait que l'on abattra cette bête.

Maintenant, si l'on m'offre de la viande gratuitement? Je pourrais la manger sans financer les abattoirs. Toutefois, je préfère laisser cette viande à ceux qui n'ont pas choisi le végétarisme. En laissant plus d'individus dans le pool de proies, les prédateurs en tueront moins. Si mon hôte a un restant de viande demain midi, il s'en fera un sandwich ce qui lui évitera de s'acheter un met à base de viande au resto d'en face. Indirectement, j'aurai quand même réduit la demande.

Certains m'objecteront que l'animal d'élevage est créé pour être mangé, donc qu'il faut qu'on en mange autrement il n'aurait pas vécu du tout. La question devient un peu plus «métaphysique» et floue puisque cela considère qu'il est plus désirable d'exister, indépendamment de nos conditions d'existences, plutôt que de ne jamais exister. Mon opinion personnelle est diamétralement opposé avec celle-ci. J'approfondis un peu plus cette question ici.

Il m'est quand même arrivé une fois de manger de la viande. J'avais commandé une pizza nature (fromage et sauce seulement) et le livreur m'a donné une pepperoni-fromage. Il avait déjà quitté lorsque je m'en suis rendu compte. Étant donné que je ne pouvais plus rien pour cette pizza (qui serait jeté aux poubelles si je la retournais) et que la transaction avait déjà effectuée, j'ai dégustée cette pizza (qui, objectivement, n'étais pas très bonne finalement…). Car mon végétarisme est un principe éthique et non un tabou alimentaire. Le but n'est pas d'éviter de «me souiller» en touchant la chair morte avec ma langue, mais bien de réduire la souffrance dans l'univers.

Pour finir cette réflexion, je tiens juste à préciser que je ne porte pas de jugement de valeurs sur personne. J'ai évalué ici que mon besoin de manger de la viande était trop faible pour rivaliser avec les besoins vitaux de mes proies potentielles. Mais je ne suis pas vous (j'ai d'ailleurs employé le «je» tout au long de mon raisonnement). Peut-être avez-vous une telle «addiction» envers la viande qu'il vous serait inconcevable de vous en passer. Si tel est le cas, je me verrais mal vous dire : «Cessez de mangez de la viande, sombrez dans la dépression, puis suicidez-vous!» Moi je n'ai jamais trippé sur la viande, ça m'a toujours apparut comme un met plutôt fade. Je ne mangeais d'ailleurs que le blanc de poulet, le steak haché (dans de la sauce) ou les saucisses à hot-dog; le reste goûtait mauvais dans ma bouche sans une surdose de sauce ou de ketchup. Choisir le végétarisme fut donc facile pour moi. Mais si j'apprenais demain matin que le beurre de pinottes ou le chocolat est fait avec des pancréas d'enfants du Tiers-Monde, il me serait sans doute difficile d'arrêter d'en manger. Mais pour la viande, ce sont seulement les pressions sociales qui me font regretter de ne pas en consommer.

Comme je vous l'ai déjà mentionné en parlant des «monstres», je ne suis pas du genre à juger et à diaboliser ceux qui commettent des actions qui causent de la souffrance. En plus, je ne suis pas en train de dire que manger de la viande c'est «être méchant», je dis simplement que c'est un geste contraire à une éthique utilitariste car cela cause plus de souffrance que de bonheur dans l'univers. C'est comme de dire 2+2=4.

Mentir n'est pas mal en soi

Selon mon éthique, mentir n'est pas mal en soi. Ce qui est mal c'est d'utiliser le mensonge pour abuser d'autrui, mais on peut très bien mentir à une personne dans l'intérêt de cette dernière (pour éviter de la blesser par exemple).

Quand on dit aux enfants «mentir c'est mal!», on induit en eux un antagonisme avec les normes de politesse qu'on leur inculque. Comment peut-on leur demander de dire à leur invité qu'il porte de beaux vêtements lorsqu'ils sont laids, ou à leur hôte que son repas est délicieux lorsqu'il est infecte, si on leur dit en même temps qu'ils ne doivent jamais mentir? Ce qu'on devrait leur apprendre c'est qu'il est mal de tromper les gens. Le mensonge n'est indirectement mal que lorsque utilisé pour la tromperie.

Il faut toutefois demeurer vigilant lorsque l'on utilise le mensonge. On doit penser aux conséquences à long terme; principalement à ce que cela nous coûtera en terme d'efforts pour maintenir ce mensonge (et tous les autres mensonges que l'on tissera autour), aux probabilités que la personne découvre la vérité un jour et à sa réaction lorsque ce sera fait. Un mensonge n'est plus éthiquement justifiable s'il a des effets bénéfiques à court terme, mais qu'il sera nuisible à long terme.

Il faut également tenir compte des intérêts réels de la personne. Peut-être qu'on lui cache un fait parce qu'on estime que cela la fera souffrir inutilement mais que cette personne aimerait mieux connaître la vérité plutôt que de vivre dans une illusion agréable. Dans cette perspective, ce serait s'opposer aux intérêts de la personne que de lui mentir et, donc, ce serait contraire à l'éthique.

Ce qui rend cela plus compliqué, par contre, c'est que la personne ne peut pas décider elle-même de si elle veut qu'on lui divulgue, ou non, la vérité. En effet, pour qu'elle puisse choisir de façon éclairée s'il serait préférable pour son bonheur qu'on lui révèle cette vérité ou qu'on lui mente, il faudrait qu'elle ait préalablement la connaissance de cette vérité; autrement son choix ne sera qu'intuitif. Or, une fois que la personne connaît cette vérité, elle ne peut plus choisir de l'oublier. Par exemple, si ma conjointe me dit: «J'ai une terrible nouvelle à t'annoncer... aimerais-tu mieux que je te la cache?» tant que je ne connais pas cette nouvelle, mon choix de la connaître ou non ne sera pas éclairé. Si, par contre, elle est plus explicite et me dit: «Aimerais-tu mieux que je t'avoue t'avoir trompé avec ton meilleur ami, ou préférerais-tu que je te le cache?» là j'ai toute l'information qu'il me faut pour faire un choix... mais il ne m'est plus possible de choisir de rester dans l'ignorance.

mercredi 25 mars 2009

Les fondements non-métaphysiques de l'éthique

Pour certains, il est nécessaire de croire en Dieu ou en la vie après la mort pour donner une légitimité et un fondement solide à notre éthique. Pour eux, le bien et le mal ne peuvent exister sans Dieu. Cette mentalité est palpable dans la phrase que l'écrivain Fedor Dostoïevski (1821-1881) faisait dire à l'un de ses personnages dans Les Frères Karamazov : «Si Dieu est mort tout est permis!»

Je pense que le problème est peut-être la définition que ces gens donnent au bien et au mal. Si ces derniers se définissent respectivement comme l'obéissance et la désobéissance envers la volonté de Dieu, il est clair qu'ils ne peuvent se passer de lui pour avoir du sens. Et, il devient parfaitement tautologique de dire que Dieu est infiniment bon... puisqu'il obéit nécessairement à sa propre volonté. C'est souvent ainsi que les obscurantistes religieux définissent leur éthique. Pour eux, Dieu nous a ordonné de ne pas tuer, de nous aimer les uns et les autres et de tendre l'autre joue alors c'est ça qui est le bien. Mais, quand Dieu nous ordonne d'exciser nos filles ou de génocider les Cananéens, c'est ça qui devient notre devoir moral.

Étant un utilitariste, «faire le bien» est pour moi une expression connotée positivement signifiant «choisir l'alternative qui devrait maximiser le bonheur de tout être». Inversement, «faire le mal» est une façon péjorative de dire «faire sciemment un choix qui causera plus de souffrance que de bonheur». On se rend compte que le mot «Dieu» ne figure pas dans mes définitions. C'est la preuve qu'il est possible d'avoir une éthique sans aucun fondement d'origine surnaturelle.

On me répond alors : «Mais alors on n'est pas forcé? À quoi ça sert de faire le bien si on n'a pas de récompense après la mort? Pourquoi éviter de faire le mal si ce n'est pour éviter d'aller en Enfer?»

Effectivement, il n'y a aucune coercition divine pour veiller à ce que l'on fasse le bien et qu'on évite le mal. C'est pourquoi on doit développer cette faculté qu'est l'altruisme, c'est-à-dire que l'on doit comprendre que les besoins des autres sont aussi importants que les nôtres. Le simple fait d'avoir créé du bonheur ou d'avoir évité de faire souffrir devrait constituer une récompense suffisante pour que l'on recherche à faire le bien. Sinon, c'est que l'on manque peut-être de maturité morale.

Les livres attrape-nigauds

Voici donc les principales catégories de livre ayant pour but d'escroquer les esprits faibles.

Il y a ceux du culte de la «force d'attraction» ou «loi de l'attraction». Tels que Que la force d'attraction soit avec vous ou Les clés de la loi d'attraction. Le livre Le Secret et ses déclinaisons (Le Secret décrypté, Le secret du Secret, Le plus vieux secret du monde, Le secret de la rose, Le secret c'est Dieu, etc.) font également partie de cette catégorie qui inclue aussi tout ceux ayant «millionnaire» dans le titre ou «Marc Fisher» comme auteur. Il s'agit de livres valorisant la pensée magique. Avoir une attitude positive pourrait non seulement nous aider à passer une entrevue ou à réussir un examen, mais ça nous permettrait également de gagner à la loterie ou qu'il fasse beau demain. Cela est bien sûr absurde. On nous sortira comme argument que «Quelqu'un qui avait lu Le Secret a gagné à la loterie!» Ce qui est pour moi totalement explicable sans cause surnaturel. Il y a tellement de gens qui ont acheté Le Secret (c'est un best-seller!) qu'il y a toutes les chances pour que le gagnant du gros lot en fasse partie.

Ensuite, il y a les livres de médecines alternatives. Tout ceux qui parlent de l'énergie vitale (ch'i ou ki) et des chakras, ou qui disent que toutes les maladies sont psychosomatiques ou qu'elles ont en sens, en font partie. De même que les régimes des groupes sanguins, l'homéopathie et la majorité de la naturopathie. Ceux-là sont plus dangereux. Des gens se diront : «Bah, oublions la chimio… J'ai juste à mieux exprimer mes émotions, à jeûner pendant une semaine et à manger un pois sec, pis je vais être guéri de mon cancer!» et mourront quelques mois plus tard. Certains plus cyniques me diront que c'est la sélection naturelle et qu'il est normal donc que les gens moins intelligents meurent à cause de leur propre stupidité. Ce point de vue ne me semble pas défendable éthiquement.

Il y également les livres millénaristes, c'est-à-dire qui nous disent que la fin du monde est proche et que les élus seront sauvé pour aller dans un monde meilleur mais que les autres souffriront atrocement et seront détruits. En ce moment, la date de la fin du monde est le 21 décembre 2012, mais il n'y a pas si longtemps c'était le 31 décembre 1999 et avant cela c'était prévu pour 1984. En fait, on est toujours à moins de vingt d'une fin du monde. Quand la date passe et qu'il ne se passe rien, on la repousse vers une date ultérieure en fonction d'une autre soi-disant convergence de prophéties (en effaçant de nos mémoires le fait que la dernière prédiction d'apocalypse ne s'est pas réalisée). Par exemple, les Témoins de Jéhovah ont été fondés par un gars qui prétendait que la fin du monde serait pour 1914. Il l'a ensuite repoussé d'une dizaine d'année, puis une autre fois. Aujourd'hui, les Témoins de Jéhovah disent encore que la fin du monde est proche mais ne donnent plus de date précise; ils ont compris.

Il y a les livres de médiums. L'auteur est donc quelqu'un qui dit être en contact avec un guide surhumain quelconque (son fils décédé ou un maître archange ascensionné de niveau 7 avec une épée +1) qui lui dit que la mort n'est qu'un passage et qu'après c'est bin plus cool que maintenant. Je trouve toujours triste et pathétique ce genre de livre. Être à ce point incapable d'accepter l'existence de la mort doit être difficile à vivre.

Il y a aussi les livres conspirationnistes. Leur niveau de paranoïa et d'imagination est surprenant. C'est une chose de dire «l'administration Bush nous a peut-être caché certaines données sur le 11 septembre 2001...» mais c'en est une autre de dire «les attentats du 11 septembre, ainsi que tous les événements historiques importants, font partie d'une conspiration pour que le monde soit contrôlé par une société secrète qui date de 6000 avant notre ère, fondé par les mages sumériens, les templiers et les chevaliers de Colomb, et qui est composée de reptiles extraterrestres qui s'était installés sur un continent engloutie et qui peuplent désormais le monde souterrain» Il me semble que la version de celui qui remet en doute la version officielle mérite tout autant – sinon plus – d'être remise en doute que la version officielle.

Une réflexion sur les livres attrape-nigauds serait incomplète si je ne parle pas des champions intemporels de cette discipline : la bible, le coran, les vedas, la torah, etc. Il y aussi les livres d'astrologie dont je pourrais parler. Mais, malheureusement, cette réflexion est déjà assez longue comme ça. Ça prendrait trop de place! Vous vous en tirez pour l'instant, mais ce n'est que partie remise.

Mon antispécisme

L'univers est un continuum, les frontières entre les ensembles ne sont que des conventions plus ou mois arbitraires. Cela est autant vrai pour la frontière que l'on met entre les espèces. Avant la théorie de l'évolution, c'était plus facile de définir les espèces puisqu'on les voyait comme des entités étanches créées distinctement. Aujourd'hui, on sait qu'elles partagent toute une filiation commune et que ces groupes se sont progressivement détachés les uns des autres par un procédé continu toujours en action. Comme toutes les espèces, la nôtre se définit comme «un ensemble d'individu interféconds». Ainsi, le «propre de l'Homme» n'est pas la parole, la culture ou la technologie, c'est uniquement d'être génétiquement compatible avec un autre humain. Un humain peut avoir une déficience intellectuelle le rendant psychologiquement équivalent à un chien et il demeura tout de même un humain.

Mon point est que, dans cette optique, l'ensemble «espèce» n'est pas un critère pertinent pour établir la limite de notre considération éthique. Bien sûr l'espèce est corrélée avec un grand nombre de traits – ceux qu'elle a acquis depuis sa spéciation – mais c'est sur ces traits eux-mêmes que l'on devrait focaliser et non sur le critère «espèce». L'interfécondité me semble un critère insuffisant pour établir les droits d'un individu. Pour moi, un chien qui aurait une mutation improbable le rendant capable de parler et de raisonner, mériterait d'avoir le droit de voter.

Un deuxième point très important qu'il faut également prendre en considération, c'est que les critères que l'on qualifie généralement de «propre de l'Homme», telles que la parole et la raison, sont souvent arbitrairement corrélé avec nos considérations éthiques. Logiquement, tout être capable de souffrir mérite que l'on prenne en compte le fait qu'il souffre. Un idiot ne souffre pas moins qu'un génie. Un sourd-muet ne souffre pas moins qu'une personne qui parle. Comme disait le philosophe utilitariste Jeremy Bentham (1748-1832) :
La question n'est pas, «peuvent-ils raisonner?» ni «peuvent-ils parler?» mais «peuvent-ils souffrir?»

Donc même si l'espèce était vraiment un ensemble étanche et bien défini empiriquement, il serait tout de même arbitraire de la choisir comme critère suffisant pour établir la limite de nos considérations éthiques. L'important n'est pas la catégorie dans laquelle on classe l'individu mais ses attributs intrinsèques personnels. Autrement ce serait une forme de discrimination arbitraire que l'on appelle «spécisme».

Je soutiens donc qu'il est important de donner aux animaux des droits à la mesure de leurs besoins, au lieu de ne pas leur donner de droit du tout. Ce point de vue est très rationnellement défendu dans le livre La libération animale du philosophe utilitariste Peter Singer (1946-…). Sinon, l'article Antispécisme de Wikipédia n'est pas mal non plus.

samedi 21 mars 2009

Le meilleur de sa catégorie

Dans les compétitions sportives, on sépare souvent les athlètes en différentes catégories. Selon le sexe, selon le poids ou selon l'âge dans le cas des mineurs. Cela permet aux sportifs d'affronter des adversaires à leur taille. La compétition est donc à la fois plus juste – l'athlète est récompensé pour ses efforts et non en fonction de ce que lui a donné la nature – et plus divertissante pour les spectateurs puisque l'issue en est moins prévisible.

Il y a toutefois des types de compétition dans lesquelles je ne comprends pas la pertinence de faire ce genre de catégorie. Par exemple, pourquoi les homosexuels devraient-ils avoir leurs propres Jeux Olympiques? Pourquoi donnerait-on un prix à la meilleure femme auteure de l'année en plus de donner un prix à l'auteur de l'année tout genre confondu? Pourquoi y a-t-il un oscar pour le meilleur acteur et un autre pour la meilleure actrice? Pourquoi y a-t-il un prix pour la plus belle Noire Étasunienne en plus de celui pour la plus belle Étasunienne toute pigmentation confondue?

Multiplier les catégories ne peut servir qu'à multiplier les gagnants. Éventuellement, si ça continue comme ça, on pourra entendre :
Hourra! J'ai gagné le prix «auteur de l'année» dans la catégorie «femme de moins de trente ans, de plus de 6 pieds, d'origine lavalloise, née en novembre et dont le nom de famille commence par un "S"!»

Personnellement, je trouve que l'existence de ce genre de catégories séparées sous-entends implicitement que les femmes ne seraient pas d'assez bonnes auteures pour gagner les mêmes prix que les hommes, que les homosexuels ne seraient pas assez athlétiques pour remporter des médailles aux vraies Olympiques et que les Noires ne seraient pas d'assez belles femmes pour remporter le prix de Miss America. Surtout quand, par exemple, il y a une catégorie spéciale pour les femmes mais pas de catégorie spéciale pour les hommes. Je m'oppose donc à ce genre de séparation puisque je ne crois aucunement que ce soit le cas.

Il faut dénoncer directement l'attitude discriminatoire des juges, et non crée d'autres concours basés sur une discrimination inverse...

La vie après la mort

La plupart des gens croient en ce qu'ils appellent «l'âme». Il s'agit d'un hypothétique organe invisible où siégeraient notre conscience, notre personnalité, nos souvenirs, notre raison et certaines de nos émotions. L'âme aurait la faculté de survivre à la mort du reste du corps et de préserver éternellement son existence en transmigrant d'un corps à l'autre, en devenant un fantôme ou en allant vivre dans un «au-delà».

Comme le déisme, la croyance en l'après-vie est une position que je respecte. En autant qu'elle se limite à ça. Si l'on ne spécule pas sur le sort des âmes défuntes et que l'on ne prétend pas pouvoir communiquer avec elles, la croyance en l'au-delà ou en la réincarnation n'est pas un obstacle à la quête de vérité et est tout à fait compatible avec une éthique éclairée. Bref, je n'ai rien contre l'existence de telles croyances.

Mais aussitôt qu'on y rajoute une notion de karma (par exemple, selon laquelle les «pécheurs» vont en Enfer ou se réincarnent en limaces) ou de spiritisme (c'est-à-dire, la possibilité pour les vivants de communiquer avec les morts), on ne parle plus d'une simple croyance rassurante mais d'obscurantisme. Celui qui peut faire croire à ses semblables qu'il sait les secrets de l'après-vie, pourra leur faire faire ce qu'il veut. Car, il les manipulera par leur plus grande faiblesse, celle qui fait que l'on a besoin de donner un sens à nos vies : la peur de mourir et de perdre ceux qu'on aime. Ce charlatan pourra leur soutirer des sommes faramineuses en échange d'une séance de spiritisme pour communiquer avec un proche trépassé, ou d'indulgences pour écourter leur séjour au purgatoire.

Si l'on me demande personnellement si je crois qu'il y a une vie après la mort, je répondrai par la négative. Pour moi, l'âme n'existe pas indépendamment du corps, donc elle meurt avec lui. La croyance en l'âme est la conséquence d'une illusion inhérente à notre façon de modéliser le monde. La question «Que vit-on après la mort?» m'apparaît donc aussi paradoxale que «Qui avait-il avant le début du temps?» ou «Que font cinq divisés par zéro?».

Quand je dis que je crois qu'il n'y a rien après la mort, les gens s'imaginent généralement que je crois que notre âme continue son existence dans un néant ténébreux jusqu'à la fin des temps. En fait, comme nous le disait le philosophe Épicure (341–270 av. notre ère), «la mort n'est rien pour nous» puisque «tant que nous existons la mort n'est pas, et que quand elle est là nous ne sommes pas». Pour faire un lien avec ma réflexion sur le fait que le temps est une dimension, c'est comme si ce qui se passait après notre mort avait lieu dans un endroit où nous ne sommes pas (le futur). Et, c'est comme si ceux qui sont morts se trouvaient dans un lieu où nous ne sommes plus (le passé).

Cela ne nous renseigne pas vraiment sur l'expérience subjective que vît le mourant. Mais je me dis que nul n'expérimente vraiment la mort. Nous n'existons, en tant que conscience, que dans cette zone appelée «corps» et dans cette période appelé «vie». On peut se représenter cela comme si, après la mort, on revenait à notre naissance et que l'on revivait ainsi perpétuellement la même vie en boucle continue sans s'en rendre compte. Ou, comme si le présent et l'écoulement du temps n'étaient qu'illusion et qu'en réalité on existe «éternellement» en occupant tout l'espace temporel qu'est notre vie. Mais ce ne sont là que des images pour nous représenter l'inconcevable; une conscience ne peut concevoir sa propre non-existence.

Quoiqu'il en soit, même s'il s'avérait qu'il y a effectivement une «autre vie» après celle-ci, je pense que cela ne change rien à l'importance de notre vie actuelle. Vivons-la tant que nous sommes dedans. S'il y en a une autre ensuite, on verra ce qu'on fera rendu là.

L'avortement

Aux États-Unis et dans le Canada anglophone, les obscurantistes religieux continuent de s'opposer farouchement à l'avortement qu'ils perçoivent comme «le meurtre d'un bébé», et font des campagnes de propagandes et d'intimidations en se donnant le nom de «pro-vie» (bien que ces mêmes gens soient très souvent en faveur de la peine de mort). Étant un humaniste éclairé, je n'ai bien sûr aucune opposition face à l'avortement. Cette pratique est pour moi une forme de contraception tardive et fait donc partie des acquis de la révolution sexuelle.

La question «Est-ce un humain?» ne me semble ni scientifique, ni pertinente pour se demander si un embryon «a des droits». L'humanité n'est, finalement, qu'une catégorie arbitraire. On devrait plutôt se demander s'il peut souffrir, s'il désire survivre et s'il a une conscience d'être. Le moment de la grossesse où il acquiert ces facultés - que l'on pourrait appeler «la naissance cérébrale» ou l'individuation* - me semble le seul qui ne soit pas arbitraire pour définir à partir de quand l'embryon passe du statut de chose à celui d'être; donc le point où l'on devrait fixer la date limite légale pour l'avortement. Avant cela, il n'est qu'un amas de cellules sans conscience. La naissance, quant à elle, me semble arbitraire comme stade du développement considérant que le foetus à la veille de l'accouchement n'est pas bien différent de ce qu'il est une fois né.

Certains sont pour l'avortement mais «avec modération». Comme si cet acte était un mal mais un mal minuscule, et donc que le cumul de plusieurs avortements constituait un mal suffisant pour être répréhensible. Pour ma part, je ne vois strictement rien de mal dans le fait d'interrompre une grossesse à un stade où l'embryon n'a pas plus d'activité cérébrale qu'une fougère (c'est-à-dire, aucune). Pour qu'il y ait du mal, il doit y avoir de la souffrance, et pour qu'il y ait de la souffrance ça prend un système nerveux actif ce que ce proto-humain ne possède pas. Peu importe ce que l'embryon aurait pu devenir, présentement il n'est qu'un amas de cellules dépourvu de conscience et doit être traité comme tel.

Et c'est encore plus vrai si je l'avorte, car cela veut dire que l'état embryonnaire dans lequel il se trouve constituera l'intégral de son existence et donc qu'aucune conscience n'habitera jamais ce morceau de viande. Si je choisissais, par exemple, de mutiler un embryon, on pourrait toujours me dire que ce n'est pas mal pour lui (puiqu'il n'a pas encore de conscience) mais que c'est porter préjudice à la personne qu'il deviendra (puisqu'elle souffrira des conséquences de mon action). Mais si j'élimine un embryon acéphal, je ne porte préjudice à aucune conscience présente (puisqu'il n'en n'a pas encore) ni future (puisqu'il n'en aura jamais). Nous n'avons aucun devoir envers celui qui n'existera jamais. C'est pourquoi, je considère que l'avortement n'est pas plus mal que la contraception ou l'abstinence sexuelle; c'est simplement une interruption du processus de création d'humains, à un stade différent, mais précédent l'émergence de la conscience. J'entends souvent des arguments terriblement fallacieux tels que : «Imagine si tes parents avaient choisi de t'avorter, tu n'aurais jamais existé!» Et s'ils avaient choisi de ne pas copuler le soir de ma conception, je n'aurais jamais existé non plus... mais personne ne dira pour autant que l'abstinence sexuelle est un meurtre.

La seule objection que je verrais c'est que ça finirait par coûter cher à la société si l'avortement est toujours financé par l'assurance-maladie. Pour cette raison, responsabiliser les gens par rapport à ça, afin d'éviter qu'il ne soit utiliser comme un substitut à la contraception, serait pertinent. Par exemple, si l'État n'offrait gratuitement que les avortements d'embryons issus d'un viol ou portés par une mineure, et que les autres avortements seraient aux frais de la génitrice (ou, disons, que l'on accorderait un avortement gratuit par personne), je ne vois pas où serait le mal.

Bien sûr, si je violente une femme enceinte dans le but de détruire le fœtus qu'elle porte, je commets un geste répréhensible. Toutefois, pour moi ce geste ne porte préjudice qu'à la femme et non à l'embryon puisqu'il n'est pas encore un être. On pourrait considérer ça comme un crime traumatisant au même titre qu'un viol, mais ce n'est en aucun cas un meurtre.



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* Je trouve important d'introduire un nom court pour désigner ce stade. C'est plus pratique que de dire à chaque fois quelque chose comme «date limite légale pour l'avortement» et ça permettrait à ce moment clé de prendre de l'importance dans l'imaginaire collectif et d'y rivaliser avec la naissance et la conception.
 

dimanche 15 mars 2009

Deux bêtes, deux mesures

Nous avons tous été choqués par le reportage sur les usines à chiots de l'émission Enquête à Radio-Canada. La réaction du public m'a cependant amené à un questionnement. Oui, ces chiens sont honteusement maltraités, mais s'ils réussissent à survivre à cette épreuve qu'est l'usine à chiots, ils auront la chance de passer leur vie dans une famille qui leur fournira nourriture, abri et amour. Les porcs d'un élevage intensif moderne ne seront pas mieux traités que ces chiens – ce sera probablement de pires conditions – et le mieux qu'il pourra leur arriver sera de finir comme bacon et tranches de jambon. Je me dis que, comme l'élevage représente l'intégral de leur vie, il est autant sinon plus important de leur offrir de bonnes conditions qu'il l'est de le faire pour les chiens.

Même chose pour ceux qui s'insurgent contre la chasse aux phoques. Peut-être est-il tué inutilement, mais le phoque pourra passer toute sa vie en liberté dans son habitat naturel avant que le chasseur ne vienne écourter son existence idyllique. Le poulet que tu manges aura passé sa vie dans une cage minuscule avec six autres poulets, on lui aura retiré le bec avec un coupe-ongle pour ne pas qu'il picore ses frères, il marchera sur un grillage inconfortable pour que ses excréments puissent tomber hors de la cage, et il finira accroché la tête en bas dans une machine qui lui tranchera la tête. Entre la vie du phoque et celle du poulet, je pense que je préférerais vivre celle du phoque. Donc ceux qui voulaient « boycotter les produits canadiens » pour protester contre le « massacre des phoques » me semblent hypocrites s'ils continuent de s'alimenter quotidiennement de viande d'animaux encore plus maltraités.

Ce qui m'écœure le plus, c'est que ce genre de discrimination spéciste que l'on fait entre les espèces animales n'est pas basée sur un critère pertinent. Les chiens et les phoques ne sont pas plus sensibles à la douleur que les porcs ou les poulets. Si l'on se soucie davantage des premiers que des seconds c'est uniquement parce qu'on les trouve plus cute. Personnellement, je ne pense pas que le droit à la vie et le droit d'être préservé de la souffrance devraient être fondés sur le critère de la mignardise.

Combattre la discrimination par la discrimination

Certaines mesures existant dans le but de contrer la discrimination sont elles-mêmes discriminatoires.

Le principe de parité des sexes en est un bon exemple. Il s'agit d'engager autant d'hommes que de femmes dans une entreprise donnée. La faille de ce raisonnement est qu'il n'y aura jamais exactement autant d'hommes que de femmes parmi les candidats compétents. Il y aura donc nécessairement des gens qui seront rejetés uniquement en fonction de leur sexe.

Par exemple, supposons qu'un employeur ait 100 postes à combler et qu'il soit contraint de choisir 50 hommes et 50 femmes. À première vue, on pourrait croire que cela est égalitaire. Toutefois, il s'agit seulement d'une égalité entre groupes et non entre individus. Les groupes ne sont que des abstractions, c'est l'égalité interindividuelle qu'il faut viser. Supposons que pour les 100 postes, il y avait 200 candidats tous aussi valables, et que sur ces 200 on comptait 150 hommes et 50 femmes. On constate donc que les hommes candidats avaient une chance sur trois d'être engagés tandis que les femmes candidates étaient certaines d'être embauchées. Ainsi, uniquement en fonction du critère «sexe» un individu pouvait tripler ses chances d'embauches. On appelle cela du sexisme, de la discrimination. C'est inacceptable. Et que va-t-on nous proposer après la parité des sexes? La parité des «races», des orientations sexuelles, des groupes sanguins ou des signes astrologiques? Soyons sérieux.

Et si ça adonne qu'il y a moins de femmes dans un secteur professionnel donné, en quoi est-ce grave? En autant qu'aucune discrimination sexuelle n'ait été faite lors de l'embauche. Si un individu est trop faible physiquement pour effectuer une job précise, ce n'est pas discriminatoire que de ne pas l'embaucher, et ce même s'il doit sa faible constitution au fait qu'il soit une femme. Ce qui serait discriminatoire serait de conclure que cette personne est faible sur la seule base qu'elle est une femme.

Il y a aussi le fait que l'on crée des mouvements ou des associations pour protéger les droits d'un groupe anciennement opprimé, mais que l'on n'en crée par pour s'assurer que le groupe anciennement oppresseur ne devienne à son tour opprimé.

Par exemple, le mouvement féministe dit vouloir l'égalité des sexes et je le crois. Il y a très certainement certaines féministes extrémistes voulant que la femme domine l'homme, mais il a des extrémismes dans tout. Le problème est que l'intervention des féministes se fera seulement dans un cas où les droits de la femme sont opprimés mais pas dans un cas où ce sont les droits de l'homme (mâle) qui le seraient. Donc même s'ils prônent théoriquement l'égalité, les féministes permettent involontairement une inégalité. Si l'on s'insurge contre l'excision des fillettes et que l'on voit ça comme une oppression de la part des méchants hommes (alors que l'excision est généralement pratiquée par des femmes, sans interférences masculines), nul ne s'opposera à la circoncision des jeunes garçons et il ne viendra à l'esprit de personne que ce puisse être une oppression de la part des femmes.

On peut expliquer cela par le fait qu'autrefois le statut de la femme était jugée socialement inférieur à celui de l'homme. Donc il aurait semblé absurde à l'époque de défendre les droits de l'homme (mâle) devant ceux de la femme. Mais aujourd'hui c'est différent. Les deux sexes sont égaux. On doit maintenant permettre aux individus d'être ce qu'ils veulent sans les contraindre ou les discriminer en fonction de leur sexe. Il ne faut pas oublier que discriminer positivement c'est quand même discriminer.

Même chose pour la ligue des Noirs ou tout autre mouvement ayant pour but de défendre l'accès à l'égalité pour un groupe donné. Il aura tendance à négliger de reconnaître qu'il y a des sphères dans lesquels ce sont des membres de son groupe qui « oppriment » les autres. Ces groupes ne créent donc pas eux-mêmes de la discrimination mais n'interviennent que lorsque la discrimination est dans un sens particulier. Parfois j'ai l'impression que certains individus ne défendent les droits d'un groupe, non pas parce qu'ils croient à l'égalité, mais simplement parce qu'ils font partie de ce groupe. Lorsque leur groupe domine, le principe d'égalité ne s'applique plus. Il y a des égoïstes voulant que le plus grand nombres possible de gens leur accorde des droits, mais ne voulant concéder des droits qu'au plus petits nombre de gens possible.

Personnellement, je dirais qu'il ne devrait exister qu'un seul mouvement défendant l'accès à l'égalité pour tous. Au lieu de créer une discrimination antagoniste qui viserait l'équilibre avec la discrimination dominante, je propose une anti-discrimination qui aurait pour but de remplacer la pensée discriminatoire.

vendredi 13 mars 2009

L'évolution de la langue écrite

On a fait passer des tests de français à des étudiants universitaires en enseignement. Il s'est avéré que le trois quart de ces personnes ont échoué ledit test (référence). Cette piètre performance dans la langue écrite semble généralisée – et bien pire – dans le reste de la population. Il est pratiquement impossible de trouver un document en français de plus d'une page qui ne contienne aucune faute.

Les solutions proposées pour régler cette gênante situation sont généralement d'imposer encore plus de cours de français aux élèves du primaire et du secondaire. Toutefois, cette mesure à laquelle on a souvent eu recours ne semble pas avoir eu d'impact réel jusqu'à présent. Nous devrions nous attaquer plutôt à la source du problème. Elle ne réside pas dans la paresse des étudiants ni dans une lacune au niveau du système scolaire. Le problème se situe plutôt dans la structure même de notre langue. En effet, le français écrit est bien loin du français oral. Tant au niveau de la syntaxe que du lexique, de l'orthographe et de la grammaire. Pas étonnant que les jeunes aient tant de difficultés à apprendre à écrire, on leur enseigne au fond une langue qui n'est pas la leur. Il n'est pas normal que l'on passe onze ans de notre vie à apprendre notre soi-disant langue maternelle et que l'on fasse encore des fautes.

Il faudrait cesser de sacraliser la langue écrite. Elle ne nous a pas été dictée au début des temps par une divinité quelconque, elle fut inventée un jour par un humain dans un tout autre contexte. À une époque où la langue orale différait de la nôtre, où les grammaires les plus compliquées étaient les plus prestigieuses et où les scribes et copistes étaient payés au caractère. La langue est – comme tout phénomène social – dynamique. Le purisme (conservatisme) linguistique est une croisade vaine. La langue orale va continuer de se transformer et l'écrit devra la suivre un jour ou l'autre s'il veut demeurer utilisable.

Faisons une petite enquête historique. Dans l'Antiquité, les Romains parlaient latin mais écrivaient en grec car ils disaient qu'ils parlaient mal. Au Moyen Âge, les Français parlaient français mais écrivaient en latin et disaient qu'ils parlaient mal. Aujourd'hui, les Québécois parlent québécois mais écrivent en français et disent qu'ils parlent mal. L'histoire se répète. Devinez la suite…

La langue écrite est tout simplement inadaptée à la langue orale et comporte nombre d'exceptions qui n'ont aucune logique et qui sont difficiles à assimiler puisqu'elles n'ont pas d'incidence sur l'oral. Il ne faut pas voir une simplification de la langue écrite comme un « nivellement vers le bas » puisque l'actuelle complexité de la langue écrite ne nous apporte rien. Ce n'est pas une richesse. Elle n'est pas nuisible qu'au « bas » mais à tous ceux qui apprennent et utilisent cette langue. Nous faisons tous des fautes et nous avons tous dû apprendre le français.

Bref, si nous voulons éviter que la génération suivante ne gaspille son temps, comme nous l'avons fait, à apprendre une langue qu'elle ne maîtrisera jamais parfaitement, nous devons songer à réformer l'écrit. Il faut moderniser et démocratiser notre langue écrite.

L'avenir de la libération sexuelle

La libération sexuelle est une somme de plusieurs progrès sociaux. Autant au niveau de l'acception d'une plus grande liberté sexuelle (aidée par le développement des contraceptifs) que par la suppression de la discrimination entre les différentes catégories sexuelles (sexes et orientations). Je pense toutefois qu'il y a encore du chemin à faire. Oui, les femmes peuvent désormais exercer les mêmes professions que les hommes, les homosexuels peuvent se marier et les transgenres peuvent changer de sexe aux frais de l'assurance-maladie. Mais certaines formes de discriminations persistent.

D'abord, je trouve que l'on a encore des préjugés et des stéréotypes à propos des sexes et des orientations. On voit encore des magasines se dire «féminins» parce qu'ils parlent de magasinage ou de recettes de cuisine. On voit, dans le défilé de la fierté gay, des gens vêtus d'une manière grossièrement caricaturale, véhiculant ainsi une image stéréotypée des homosexuels à laquelle ne s'identifient peut-être pas ceux qui ont peur de sortir du garde-robe. Je pense donc que l'on devrait s'affairer à dissocier ces contingences culturelles des catégories sexuelles. On peut être femme et ne pas aimer la mode, tout comme on peut être homosexuel et ne pas aimer le «style gay».

Ensuite, je considère qu'il y a encore des discriminations relatives aux relations sexuelles et amoureuses dans notre société. Par exemple, la polygamie est encore illégale (!) au Canada. Les ultraféministes considèrent qu'aucune femme ne peut désirer vivre en polygamie (bel ethnocentrisme…) alors c'est qu'elles sont forcément contraintes par les méchants hommes. Ouvrez-vous l'esprit! Peut-être que pour certaines femmes c'est normal d'avoir des coépouses. Peut-être que certaines personnes sont capable d'aimer plusieurs personnes à la fois. Peut-être qu'une unité polygame, dans laquelle chacun est amoureux de tous les autres, aimerait pouvoir s'aimer ouvertement. Si une union est composée d'adultes consentants, je ne vois pas ce que l'on aurait à redire là-dessus et encore moins pourquoi ce serait illégal.

Je trouve également que l'on a tendance à afficher trop ouvertement notre aversion pour certaines formes de fétichisme. On ne choisit pas ce qui nous attire. Si quelqu'un a des besoins particuliers pour avoir son plaisir, il devrait pouvoir ne pas s'en sentir gêné. Inversement, il est normal que les gens n'ayant pas ce fétichisme éprouvent de la répugnance en y pensant. Mais il me semble qu'en parler et l'exprimer devrait être évité dans les conversations. Après tout, je ne connais pas les préférences intimes de mon interlocuteurs donc je pourrais le mettre mal à l'aise en qualifiant de «dégeulasse» ce qui l'attire secrètement.

Finalement, comme je l'ai déjà mentionné dans ma réflexion sur les «monstres», je ne suis pas à l'aise avec la façon dont on réagit avec la pédophilie. Si l'acte est évidemment répréhensible (surtout si c'est un viol), la tendance à elle seule n'est pas un méfait qui peut être imputé à l'individu. Comme nous tous, les pédophiles n'ont pas choisi leur orientation, c'est quelque chose que la vie leur a imposée. Qui choisirait d'être pédophile? Personnellement, je préfère que ceux qui sont attirés sexuellement par les enfants se content de contempler des photos d'enfants tout-nus plutôt que de réellement passer aux actes. Et, s'ils veulent guérir de leur tendance, je ne vois pas trop vers qui ils pourraient se tourner en ce moment sans qu'on ne les mette au pilori ou au bûcher.

mercredi 11 mars 2009

Le déisme

Le déisme est la position théologique selon laquelle il existe une conscience intelligente qui a créée l'univers et qui nous observe, mais qui n'intervient pas directement dans le monde et ne s'est pas révélée à l'humain via un prophète quelconque. Il y a une vaste gamme de nuances : Les déismes les plus anthropomorphistes rejoignant le monothéisme s'opposent à des déismes panthéistes qui s'approchent de l'athéisme.

En tant qu'athée, le déisme est une position que je respecte. Il est tout à fait compatible avec des valeurs progressistes et est rarement un obstacle à la quête de vérité. Il y a bien sûr la pente glissante qui pousserait l'individu à se croire « du côté de Dieu » (et, donc, à justifier fallacieusement ses choix) mais cela se rencontre plutôt chez les adeptes d'une religion que chez les déistes. Bref, je n'ai pas grand chose contre l'existence de cette croyance.

Toutefois, si l'on me demandait si je pense que le déisme puisse être vrai, je répondrais par la négative.

En fait, ce point de vue me semble se contredire lui-même. Puisque s'il y a un Dieu mais qu'il ne s'est pas révélé, d'où nous vient le concept de Dieu? Pour les monothéistes, le concept de Dieu nous vient de ce qu'il s'est révélé à nous. Pour les athées et les déistes, le concept de Dieu s'est développé progressivement par l'accumulation de spéculations métaphysiques et l'on peut le constater en étudiant l'histoire des différentes spiritualités de l'humanité depuis la Préhistoire. Donc quelles chances y aurait-il pour que – par hasard – en inventant le monothéisme on soit tombé pile sur la bonne affaire sans qu'aucune démarche scientifique ni aucune révélation divine ne nous y ait emmené?

Par ailleurs, croire qu'un être à notre image ait conçu l'univers m'apparait un manque flagrant d'humilité. Une forme d'anthropocentrisme du même genre que le créationnisme et le géocentrisme. Une incapacité d'admettre que notre existence soit purement contingente. Certains diront que leur Dieu n'est pas à l'image de l'humain, mais pour moi si l'on élague le concept de dieu de tous ses attributs anthropomorphes, on ne parle plus d'un dieu. Le mot devient un synonyme de « l'univers » et ce n'est plus du déisme mais de l'athéisme.

Également, un Dieu qui ne se révèle pas et qui n'intervient pas me semble particulièrement inutile... Ça me fait penser au philosophe Épicure (341–270 av. notre ère) qui disait que les dieux existent mais que, vu qu'ils sont des êtres parfaits, se suffisent à eux-mêmes et n'ont aucun désir d'intervenir dans notre monde imparfait. L'implication pratique est qu'on peut faire comme si les dieux n'existaient pas. On maintient la croyance en Dieu mais on en supprime toutes les conséquences dans la vie réelle. J'ai l'impression que c'est comme ne pas être game de passer à l'étape suivante : l'athéisme.

Je pense malheureusement que certains esprits, dont on pourrait dire qu'ils manquent de sagesse ou de maturité intellectuelle, ont en quelque sorte besoin de s'accrocher à ce genre de croyances. C'est pourquoi je ne m'attaque généralement pas au déisme; c'est une croyance inoffensive. Les débats sur les valeurs et sur l'éthique me semblent plus importants. Il s'agit, finalement, d'une simple question métaphysique. En débattre ne peut donc être que trivial.

Le bon parler

Je suis tanné d'entendre : «Nous autres, les Québécois, on parle mal… on devrait parler comme les Français [parisien], eux parlent bien!» Les Parisiens parlent bien parce que l'on définit le «bon français» en se basant sur la manière dont ils parlent. Donc peu importe les mots qu'ils choisiront d'incorporer à leur lexique, ce sera toujours ça le bon français. Si demain matin tous les Parisiens se mettaient à dire tabarnak, le mot aurait sa place dans le prochain Larousse.

Quand un anglophone me dit «Hi» au lieu de «Bonjour», il ne me viendra pas à l'esprit de dire qu'il parle mal. Je vais plutôt me dire qu'il parle anglais. C'est la même chose. Chaque dialecte du français a sa propre logique qui n'est ni plus mauvaise ni moins cohérente que celle du français standard normatif international parisien. C'est une logique que le locuteur suit inconsciemment mais qu'on peut étudier et décrire. C'est sur la logique du français parisien que les grammaires choisissent de se fonder, mais cela ne signifie pas que le français québécois soit illogique.

Le québécois et le parisien sont des dialectes qui ont divergé l'un de l'autre depuis la fondation de la Nouvelle-France. Toutes les transformations linguistiques qui sont survenus du côté nord-américain de la francophonie sont considérés comme des «détériorations» de la langue, tandis que les changements linguistiques survenus de l'autre côté de l'Atlantique sont considérés comme des «modernisations» et ce sont les Québécois qui sont arriérés s'ils ne les utilisent pas. N'y a-t-il pas un double standard ici?

Il y a quelque chose de très snob et «colonial» à considérer que certaines variétés dialectiques sont «plus mauvaises» que d'autres. Ce sont toujours les colonies qui parlent mal et les métropoles qui parlent bien. Même chose pour les sociolectes au sein d'une même population: le langage de la classe ouvrière est le plus mauvais tandis que la bourgeoisie s'exprime tellement «mieux». Et c'est encore la même chose entre les générations : les jeunes parlent un français «dégénéré et anglicisé» tandis que les vieux parlent «le vrai français».

Il faudrait que les gens comprennent qu'il n'y a pas de bien ou de mal dans le domaine du langage. L'expression «parler mal» n'aurait de sens que pour désigner quelqu'un qui aurait un défaut d'élocution. Si j'arrive à me faire comprendre de mon interlocuteur, c'est que la communication entre nous est fonctionnelle donc que je parle bien.

L'empathie brute et l'altruisme raisonné

L'empathie est la faculté de «ressentir» ce que les autres ressentent. Par exemple, en voyant une personne se cogner la tête je vais éprouver moi-même une sorte de douleur psychosomatique à la tête. Cette faculté existe, évolutivement parlant, pour favoriser la coopération entre les individus; car cette dernière est avantageuse pour la survie de chacun.

Je définis l'altruisme comme le fait de considérer les intérêts des autres, non pas en raison d'une empathie intuitive, mais en vertu d'une compréhension rationnelle du fait que l'autre est, comme moi-même, un être ayant des buts et des besoins. L'autre est un autre moi. Donc l'altruisme c'est l'extension à autrui de notre motivation intuitive à rechercher le bonheur.

Pour moi, l'altruisme (rationnel) est en tout point supérieur à l'empathie (intuitive) en tant que moteur éthique. Fondamentalement, celui qui ne fait pas de mal aux autres que par empathie peut n'être qu'un égoïste. Puisqu'il ne s'en abstient pas pour éviter une douleur à l'autre mais bien pour s'éviter à lui-même la douleur psychosomatique collatérale qu'il ressentirait involontairement en voyant l'autre souffrir.

L'empathique égoïste ne sera pas capable de chicaner ses enfants; il se sentira coupable de les voir tristes. Il n'aura cependant aucun scrupule à acheter des produits fabriqués par des enfants du Tiers-Monde. Et ce, même s'il en est avisé. Car, ce n'est pas sa raison qui est invoqué lorsqu'il s'abstient de faire souffrir ses enfants, c'est uniquement une pulsion viscérale.

L'empathique n'aura aucun remords à se délecter de la carcasse d'un porc s'il est dénaturée et scellé dans une barquette de styrofoam. Par contre, seul sur une île déserte avec des cochons sauvages, il se laissera mourir de faim plutôt que d'avoir à tuer lui-même ses proies.

Parfois on peut faire souffrir quelqu'un pour son bien. Un médecin est sans doute souvent confronté à ce genre de situation où il doit infliger une douleur à son patient pour traiter sa maladie. Son intuition d'empathie entrera donc en conflit avec son altruisme. Il devra donc accepter de souffrir d'empathie parce que son but est bel et bien d'aider son patient.

Bref, cessez d'être empathiques, soyez altruistes!

vendredi 6 mars 2009

Les monstres n'existent pas

Je ne crois pas aux «monstres». Pour moi un violeur pédophile, un tireur fou ou un dictateur génocidaire ne sont pas des démons ou des êtres inhumains. Ce sont, bien malheureusement, des humains comme nous tous qui ont des raisons de faire ce qu'ils font. Ces raisons ne «justifient» pas leurs gestes, elles les expliquent.

Le système de justice ne devrait pas rechercher à «punir des coupables». Personnellement je trouve plutôt infantile cette conception des choses selon laquelle on tape sur un coupable diabolisé pour venger ses victimes. On devrait plutôt se poser des questions sur ses motivations. Pourquoi en est-il venu jusque là? Comment éviter que ce genre de choses ne se reproduise? Il s'agit d'identifier où, dans la séquence causale, les choses se sont mises à bifurquer dans cette direction, puis rectifier le tir pour les séquences semblables à venir.

La peine de mort est une aberration. On refuse d'accepter l'humanité du criminel alors on le tue et il n'a jamais existé. C'est d'une thérapie dont il a besoin. Pas d'être tué ou d'être enfermé dix ans dans une prison. Chaque fois que j'entends des gens cracher sur un père qui a tué ses enfants avant de se suicider, j'ai le goût de leur répondre… mais quoi?

Une chose est sûre : pour qu'un humain qui, fondamentalement, est mon semblable, se mette à causer délibérément autant de souffrance, c'est qu'il a dû lui-même en vivre beaucoup. Je n'excuse rien. Je ne justifie rien. J'explique; froidement et scientifiquement. Parce que c'est ce qu'on devrait essayer de faire: comprendre. Comprendre pour mieux prévenir.

dimanche 1 mars 2009

Être ou ne pas être?

Selon l'hypothèse Sapir-Whorf, des contingences linguistiques peuvent parfois affecter notre conception du monde. Le verbe être sert normalement à indiquer un état temporaire ou un attribut intrinsèque. Toutefois, nous l'employons souvent pour désigner nos opinions, nos croyances, nos habitudes ou nos origines. Faisons l'exercice de supprimer ce genre d'usage du verbe être :

Il est Québécois / Il vit au Québec
Il est de gauche / Il vote pour la gauche
Il est athée / Il ne croit pas à Dieu
Il est végétarien / Il mange végétarien
Il est étudiant / Il étudie
Il est libraire / Il travaille comme libraire
Il est hétérosexuel / Il aime les femmes
Il est Blanc / Il a la peau beige rosé
Il est jeune / Il a vingt-cinq ans
Il est beau / Je le trouve beau
Il est ~iste / Il prône le ~isme

Cet usage du verbe être constitue une pente vers l'illusion que ce genre de caractéristiques nous définit en tant qu'individu. Conséquemment, en plus d'amplifier l'importance relative de ces détails, nous sommes portés à les maintenir tels qu'ils sont pour préserver l'intégrité de notre identité. Cela peut constituer un frein à notre évolution personnelle et nous pousse à générer de nouvelles catégories arbitraires pour classer les gens (ce qui est une pente vers la discrimination). Mais bon, la langue est ainsi conçue. Il faut simplement éviter d'être biaisé par cet usage.

Quand l'anâtman rencontre le cogito ergo sum

Je vous ai déjà parlé des illusions inhérentes à toute conscience. J'approfondirais ici en comparant deux systèmes de conception de l'esprit qui peuvent sembler contradictoire à première vue mais qui, finalement, se rejoignent dans ma conception du monde.

Chez le philosophe Descartes (1596-1650), le «je pense donc je suis» constitue la preuve ultime que nous existons. C'est-à-dire que, selon ce point de vue, notre «âme» est une chose insécable qui existe en soi.

Dans la philosophie de Bouddha (624-544 av. notre ère), il y a un concept que l'on appelle anâtman et qui signifie littéralement «non-âme» ou «anti-âme» mais que l'on traduit généralement par « vacuité ». L'idée est que rien n'existe en soi et que tout n'est qu'un agencement éphémère de composantes qui n'est définit que par ses interactions avec son environnement. Cela rejoint ce que je dis sur ce blogue à propos de la continuité de l'univers et des systèmes. Mais même nous-mêmes, notre être profond, notre conscience, n'existe pas en soi.

À première vue ces deux conceptions semblent diamétralement opposées. Mais, le point de vue de Descartes et celui de Bouddha sont-ils aussi irréconciliables qu'on pourrait le croire? Cela dépend d'à quel niveau on les utilise. La physique de Newton n'est pas fausse, mais elle ne s'applique plus rendu à une certaine échelle; celle d'Einstein la complète.

Si l'on se souvient qu'il y a une différence entre le «monde sensoriel» et le «monde intellectuel», on peut dire que ces deux mondes fonctionnent de manière différente. Si, en effet, notre conscience est un tout indissociable à l'intérieur du monde tel qu'elle se le représente (dû à un biais naturel de toute conscience), elle est nécessairement un système composite à l'intérieur du «monde tel que perçu par l'approche intellectuelle», puisque c'est le cas de toute chose à cette échelle de n'être qu'un agencement éphémère de composantes.

Bref, si l'on procède par une pure réflexion, on donne raison à Descartes. Mais si l'on utilise l'approche scientifique, on se rend compte que Bouddha était dans le vrai.

Le culte de Dame Nature

Le terme «nature» et ses dérivés sont assez flous. Qu'est-ce que le naturel? Qu'est-ce que la nature?

Parfois on dirait que ça désigne tout l'univers sauf l'humain et ses productions, d'autres fois ça désigne l'écosystème ou la biosphère. Une chose naturelle en est souvent une qui n'a pas été altérée par l'humain. Comme s'il y avait une sorte de fossé entre nous et le reste de l'univers. Il n'y a pas de différence de substance entre ce qui émane de l'humain et ce qui est naturel. Tout est en continue.

J'ai l'impression que l'on utilise souvent la nature pour justifier fallacieusement un maintient du statu quo. Comme on le faisait autrefois en qualifiant l'homosexualité de contre-nature ou en disant qu'il est naturel que la femme obéisse à son époux.

La nature n'est pas une personne. Elle n'a pas de désir, de sentiments ou de buts. Elle ne peut pas souffrir ni être contrariée. Elle est en elle-même la somme de ce qui n'est pas le fruit d'une intention. Le fait qu'une chose soit supposément «contre-nature» n'est donc pas, en soi, un critère suffisant pour la désapprouver. Et inversement, déclarer qu'un geste est «naturel» ne suffit pas à le justifier d'un point de vue éthique ou autre.

Personnellement, j'évite d'utiliser le mot «nature» et ses dérivés à l'intérieur d'une argumentation logique. Empiriquement, la nature n'existe pas. C'est une simple allégorie.